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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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s’étrangla dans sa prison, fusiller le duc d’Enghien ; menacé de mort, Bonaparte frappait légitimement des conspirateurs et une famille par essence hostile à la république. Ce fut parce que, dans le même temps, il la trahissait lui aussi. Des demi-mots de Cambacérès, des confidences de Fouché, des révélations de Sieyès confirmaient à Claude la rumeur confuse et générale selon laquelle Napoléon allait relever pour lui le trône. Il se préparait, ni plus ni moins, à renouer la tradition carolingienne en se faisant proclamer empereur. L’ambitieux sans mesure qui rêvait la gloire d’Alexandre avait donc persisté dans le consul si sage ! N’ayant pu ressaisir l’empire des Comnènes, il voulait ressusciter celui de Charlemagne. L’insensé ! Sa popularité ne laissait aucun espoir de le combattre. Il fallait le laisser se perdre de lui-même. Mais ne perdrait-il pas la France avec lui ?
    « Allons donc ! répliqua Naurissane à cette réflexion, Napoléon est invincible et il possède un génie universel.
    — Eh bien, mon frère, je ne lui donne pas dix ans, à votre génie universel, pour succomber sous ses extravagances. Et, croyez-moi, nous n’avons encore vu que les roses, comme disait Danton. Tout ce que l’on pouvait craindre, au 18Brumaire, en confiant le destin de la nation à un homme, est assuré désormais. Voulez-vous tenir là-dessus un pari ?
    — Volontiers », répondit en riant le bon Louis.
    Hélas, il n’en devait point connaître le résultat, car il mourut cinq ans plus tard, en 1809, presque ruiné par des spéculations hasardeuses. Son hôtel fut mis en vente. Claude l’acquit. Thérèse y demeura près du ménage, entourée de consolantes affections, idolâtrant son neveu et sa nièce.
    Entre-temps avait disparu aussi Guillaume Dulimbert. Compère lunettes était mort très discrètement à Paris, au printemps de l’an XI, refusant les secours de la religion qu’il haïssait toujours, mais laissant pour son frère un testament par lequel il révélait la cachette du crâne de saint Martial dans le mur de leur maison, rue des Combes. Extraordinaire en tout, il avait repoussé jusqu’après sa mort cette révélation qui lui aurait valu les honneurs et la reconnaissance de l’Église ; et à celle-ci, qu’il détestait, il n’avait pas voulu soustraire une relique, objet, pour lui, de la plus grossière superstition. « Allez donc comprendre les hommes ! » écrivait M. Mounier en annonçant à ses enfants cette saisissante nouvelle.
    Pendant les neuf ans, dix mois et vingt jours que dura l’Empire, Claude ne revit jamais Napoléon, ni de près ni de loin. Célèbre dans sa profession, plus qu’à l’aise, il se partageait entre le travail, les joies du foyer et d’agréables commerces, pour la plupart dans la société dite d’opposition (opposition toute platonique ; impossible de rien tenter contre l’Empereur gagnant sans cesse en gloire et en puissance). Il avait cessé de fréquenter Cambacérès depuis qu’il fallait donner de l’altesse à Monseigneur l’Archichancelier, mais il visitait et recevait le comte Berlier, le comte Sieyès, entièrement désabusé, et plus souvent encore Fouché, fort peu attaché à son titre de duc d’Otrante dans l’intimité où il continuait l’amical tutoiement. L’ex-évêque Gay-Vernon qui, après divers avatars sous le Directoire, était rentré dans la vie privée pour fonder, sous le Consulat, une maison d’éducation rue de Sèvres, restait lui aussi fidèle à leurs longues années « d’honorable complicité », disait-il.
    L’été, toute la famille courait la poste pour aller en Limousin. À Limoges, la manufacture de M. Mounier, devenue impériale, connaissait une inimaginable prospérité. Deux nouveaux fours ronflaient. L’ex-terroriste Préat dirigeait onze peintres sur porcelaine et formait des apprentis. M. Mounier occupait en tout soixante-quatre personnes, au lieu des seize qui suffisaient aux besoins de la manufacture royale. À Thias, Lise et Thérèse retrouvaient leur père, M. Dupré, toujours solide en dépit de ses rhumatismes, toujours autoritaire aussi, mais non moins attendri que sa femme par leurs magnifiques petits-enfants. Comme autrefois, on allait au « château », chez M. de Reilhac, président de la Cour impériale. Antoine péchait dans l’étang au bord duquel sa mère et « oncle Bernard », dans leur jeunesse…
    Thérèse devinait

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