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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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marqueterie se séparèrent brusquement, comme avaient cédé, au 20Juin, ceux de l’Œil-de-Bœuf dans le pavillon de l’Horloge. Un flot d’hommes, de femmes, d’enfants, pêle-mêle, roula jusqu’au milieu de la salle, emplit le parquet en criant, gesticulant, soulevant un nuage de poussière. On voyait çà et là des bâtons, mais la plupart des hommes se bornaient à brandir leurs chapeaux – car on ne coiffait plus le bonnet rouge – portant une inscription : Du pain et la Constitution de 93 ! C’étaient aussi les mots que vociférait la foule.
    Sauf le président Thibaudeau, debout, couvert, les représentants n’avaient pas bougé. L’hémicycle semblait un de ces tableaux-vivants où, soudain, tout se fige. Boissy demeurait encore à la tribune, ses notes devant lui. Pour voir quelle serait la réaction, Claude se leva et lança aux envahisseurs : « Vive la République ! » Tous ses collègues l’imitèrent. Le peuple répondit : « Vive la République ! Du pain ! La Constitution de 93 ! » Quelques applaudissements retentirent sur les bancs de la haute Montagne et dans les tribunes publiques presque vides. Évidemment, cette foule n’avait été préparée à rien d’autre qu’à pousser ces cris. Ne sachant que faire, elle entreprit de se répandre parmi les députés, de s’asseoir à côté d’eux, de leur parler. Legendre voulut protester. Il gronda : « Si jamais la malveillance…» on ne le laissa pas aller plus loin. « À bas ! à bas ! Point de discours, nous n’avons pas de pain ! »
    Merlin-Mayence tenta d’arranger les choses. Descendant parmi les hommes à chapeaux, il les engagea d’un ton fraternel à respecter la représentation nationale. On lui cria aigrement, du haut de la Crête : « À ta place !
    — Ma place, riposta-t-il, est au milieu du peuple. Ces citoyens viennent de m’assurer qu’ils n’ont aucune mauvaise intention. Ils ne sont ici que pour vous faire connaître l’urgence de leurs besoins.
    — Oui, oui, répéta la foule, nous voulons du pain ! »
    Mais un nouveau tintamarre couvrit cette clameur et la porte vomit un autre flot qui vint comprimer le premier, toujours au cri de : « Du pain ! du pain ! » Encore une fois, le coup monté se sentait, car le pain ne manquait pas à ces gens, aujourd’hui. De toute sa poitrine, Legendre hurla quelques mots qui se perdirent dans les vociférations. Au-dessus de Claude, Huguet, Foussedoire braillaient : « À bas ! à bas ! » Alors Thibaudeau, quittant l’estrade, sortit avec les secrétaires. Legendre, Tallien, Fréron, Merlin-Mayence et la plus grande partie de la droite suivirent.
    Pour Claude, la situation était claire. Il discernait nettement ce qui allait arriver. « Tu vas entendre le tocsin », cria-t-il à l’oreille de Gay-Vernon. Puis, se retournant pour regarder derrière lui Levasseur, il lui adressa des épaules un signe de commisération. Le piège fonctionnait au mieux. On avait laissé les Crêtistes se compromettre irrémédiablement en poussant cette populace sur les Tuileries sans défense. Nul ne pourrait nier l’attentat contre la représentation nationale maintenant que le président et une partie de l’Assemblée avaient dû se retirer devant l’invasion. Il ne restait plus qu’à revenir en force et à faire jouer la loi de grande police. En attendant, les pauvres aveugles ne manqueraient point de s’enferrer davantage. Tant pis, je me suis donné assez de mal pour leur ouvrir les yeux !…
    Fouché avait compris, lui. Il se tenait immobile sur sa banquette, les bras croisés, les lèvres minces. D’autres commençaient de sentir l’erreur commise. Deux Montagnards modérés, Gaston, Duroy, se plaignirent de l’état où l’on réduisait la Convention. Ni l’un ni l’autre ne furent entendus dans le vacarme, mais on se tut un peu pour écouter l’ex-évêque Huguet dont on connaissait les sentiments. « Le peuple qui est ici, affirma-t-il, n’est pas en insurrection ; il vient demander une chose juste : l’élargissement des patriotes. Peuple, n’abandonne pas tes droits. » On n’eût pu parler plus maladroitement, mieux confirmer le vrai motif de l’entreprise fomentée par les ci-devant ultra-révolutionnaires pour s’affranchir des menaces suspendues sur eux.
    Un citoyen, fendant la foule, s’adossa au soubassement de la tribune. C’était Vaneck, chef du bataillon de la Cité au 31 mai 93, et encore le bras

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