Les hommes perdus
groupes.
Allait-on voter leurs vœux ? Claude ne le croyait pas, et en effet le centre, jusque-là muet, s’anima tout entier pour imposer la reprise des délibérations là où elles avaient été interrompues. Au demeurant, cela revenait tout de même à satisfaire au désir et aux besoins populaires puisqu’il s’agissait des subsistances. Boissy d’Anglas poursuivit son exposé, après quoi il demanda qu’une force armée imposante fût formée pour protéger les convois, en levant un contingent dans la garde nationale de chaque section. « C’est un moyen illusoire, objecta Claude. Si vous voulez réellement protéger les convois, il faut les faire escorter par de la ligne. » André Dumont feignit de ne pas entendre. La motion de Boissy fut adoptée. Prieur de la Marne suggéra de commencer la distribution par les familles ouvrières. Adopté également.
Là-dessus, la droite rentra, avec Thibaudeau qui reprit le fauteuil et, « indigné de l’attentat commis contre l’Assemblée », donna la parole à Ysabeau pour un rapport sur ce complot. « Voilà les vengeances, » dit Claude à ses voisins. Les Crêtistes murmuraient. Quelques-uns, dont l’ancien chanoine Chasles crièrent même : « L’ordre du jour ! » mais sans aucune chance d’entraîner la majorité. Le centre voulait être renseigné. Ysabeau lui apprit que le mouvement venait de la Cité. Il parla des rassemblements de femmes et d’enfants devant les boulangeries, désigna comme principaux responsables les autorités de la section, en premier lieu Dobsen, ex-président du Tribunal révolutionnaire rénové après le 9Thermidor, qui avait abandonné aux meneurs les tambours du bataillon, avec lesquels ils étaient allés battre la générale dans les quartiers voisins. Une partie de la population du Temple, des faubourgs Antoine et Marcel avait accompagné les bandes de la Cité, obstruant le Carrousel de manière que les patrouilles répandues dans la ville ne pussent porter secours à la Convention. Mais l’Assemblée, Ysabeau l’en félicita, s’était délivrée elle-même. À présent, la garde nationale – des sections bourgeoises, il ne le dit pas –, renforcée par « quelques jeunes gens de bon vouloir » – la clique à Fréron – occupait solidement les alentours du Palais national et donnait la chasse à certains factieux réfugiés dans l’enceinte des Quinze-Vingts. D’autres résistaient encore dans la Cité, où ils s’étaient fait un fort de l’église ci-devant Notre-Dame.
Ce rapport restait plutôt modéré, il s’en tenait aux événements et ne mettait en cause aucun des représentants suspects de collusion avec les patriotes. Cela ne faisait point l’affaire des Thermidoriens. Mais, in fine, Ysabeau ajouta que deux députés, Auguis et Pénières, envoyés dans les faubourgs par le Comité de Sûreté générale pour dissiper les rassemblements subsistant çà et là, avaient été blessés, le second d’un coup de feu. Aussitôt ce fut un tollé. Le centre s’émut, la droite poussait des glapissements d’indignation. Assez modérément encore, Ysabeau proposa : 1 o de déclarer qu’en ce jour la liberté des séances de la Convention nationale avait été violée ; 2 o de charger les Comités d’instruire contre les auteurs de cet attentat. Les Crêtistes protestèrent, car ils discernaient bien que des simples auteurs, comme Dobsen, Vaneck, on passerait aux inspirateurs. « La liberté des séances n’a pas été violée, prétendirent Chasles et Choudieu, le peuple est venu exprimer ses besoins à la Convention. » Ruamps s’exclama : « Le peuple est chez lui dans la maison nationale !
— Était-il chez lui le 20Juin ? lui répliqua-t-on à droite. Cette journée a été un 20Juin contre la représentation nationale. On a aujourd’hui envahi l’Assemblée comme on a, au 20Juin, envahi le palais du roi ; et si la Convention ne sévit pas, on préparera bientôt contre elle un 10Août. »
Sergent observa : « Les fauteurs de ce complot ne sont pas les patriotes, mais les Feuillants réfugiés à Londres : les Lameth, les Duport, qui veulent perdre les républicains en les poussant aux excès.
— Allons donc ! protesta Thibaudeau passant du fauteuil à la tribune et désignant la Crète. Elle est là cette minorité qui conspire ! Je me suis absenté pendant quatre heures parce que je ne voyais plus ici la représentation nationale. Maintenant
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