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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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Claude y rencontra le brave, l’honnête Levasseur. « Je descends de chez toi, dit-il. Faisons quelques pas, veux-tu bien ? » Il regarda autour d’eux dans la nuit tombante où blanchissait la lueur des réverbères, et poursuivit d’un ton plus bas : « Je suis venu t’avertir. Toute la Montagne est décidée à se joindre demain au mouvement s’il prend d’importantes proportions.
    — Il n’en prendra pas. Mais il ne convient point de parler davantage ici. Des mouches nous observent peut-être. Allons chez moi. »
    Levasseur remonta donc. Une fois dans le petit salon gris-blanc, tendu de toile à personnages, avec les bibliothèques de part et d’autre de la cheminée, et le bureau à cylindre où Desmoulins avait écrit plus d’un article, Claude dit à son visiteur : « Quelques proportions que le mouvement paraisse prendre, il ira seulement jusqu’où l’on a dessein de le laisser aller. Écoute-moi. »
    Il raconta franchement – car il n’avait point à se cacher d’un homme comme Levasseur – sa démarche auprès du Comité de Sûreté générale, ses raisons de l’entreprendre et les conclusions qu’il en tirait. L’ancien chirurgien du Mans, fervent robespierriste, remuait la tête en écoutant tout cela. En mission lors des événements de thermidor, il s’était, à son retour, incliné devant le fait accompli ; mais, adversaire déterminé des Girondins, il souffrait mal la rentrée de leurs amis à la Convention et la turbulence rancunière des amis de Danton, ces jouisseurs, ces affairistes, ces modérantistes à leur profit, dont il avait, aux Jacobins, dénoncé les tripotages et les mensonges éhontés, notamment ceux de son compatriote Philippeaux sur la guerre en Vendée et sur la conduite des généraux sans-culottes Rossignol et Ronsin.
    « Ainsi donc, il nous faudrait subir la tyrannie des hommes perdus ! protesta-t-il. Voir le peuple au dernier degré de la misère, et ne rien faire pour l’aider à se délivrer de ceux qui l’oppriment ! Je n’y consentirai pas.
    — Il faut aider le centre à contenir la droite. C’est le seul moyen de sauver la république. Depuis six ans, jamais rien dans nos Assemblées n’a été obtenu qu’avec le concours du centre. Si Robespierre est tombé, c’est parce que le centre l’a finalement abandonné. Le centre seul peut tirer la république du chaos où nous sommes, rendre au peuple le pain et une existence supportable. Ce sera une république bourgeoise, évidemment, mais susceptible de se démocratiser par le progrès des esprits. Mieux vaut une république bourgeoise que la royauté ou l’anarchie dans laquelle nous sombrons. Voilà pourquoi mes collègues de la Haute-Vienne et moi ne nous mêlerons pas au mouvement. N’y compte pas. »
    Levasseur partit, mal convaincu. Claude s’accouda un moment au balcon, regardant le Carrousel plein d’obscures allées et venues, le cour des Tuileries avec ses rangées d’arbres sombrement silhouettés, le château noir sauf dans l’aile du pavillon de Flore où la lumière brillait aux fenêtres des petits cabinets et sous la voûte du ci-devant escalier de la Reine gardé par les factionnaires qui veillaient sur le Comité de Salut public. Claude revoyait en pensée tout ce dont ces lieux avaient été le théâtre : l’invasion du 20Juin, dirigée par Santerre et Legendre, les combats et les massacres du 10Août, l’investissement du 2Juin suivant et la comédie jouée par Hanriot pour obtenir l’éviction des Girondins, la fausse attaque de la Convention le 9Thermidor. Que serait-ce demain ?…
    Le lendemain, 12 Germinal – le 1 er  avril – la matinée, froide, bruineuse, s’écoula sans révéler la moindre apparence de mouvement. Claude, à son bureau, jetait des notes sur le papier en vue d’une brochure qu’il méditait d’écrire. Puisqu’on repoussait la Constitution de 93, il était temps d’en proposer une autre, sur laquelle tous les républicains pussent s’accorder. Il voulait donc définir un mode de gouvernement démocratique, fondé sur la souveraineté du peuple et les principes essentiels de la Déclaration des droits, mais ne laissant aucune ouverture à l’anarchie. Pas de difficulté pour le pouvoir législatif, composé de deux assemblées élues et renouvelables par tiers, dont l’une tempérerait l’autre, comme l’expérience de six années en montrait la nécessité. Mais l’exécutif !… Toujours la même pierre

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