Les hommes perdus
trop zélés républicains. Enfin, le rapport proposait la détention de Pache, ancien maire de Paris, deux fois ministre, de Rossignol, ex-général des armées révolutionnaires en Vendée, et de Dobsen, tous considérés comme suspects de participation à la journée du 12 Germinal, – ce qui était très exact pour Dobsen et faux pour les deux autres. En réalité, Pache payait sa rupture d’octobre 92 avec les Brissotins, son passage du rolandisme au robespierrisme et à l’hébertisme ; Rossignol, ses emportements contre l’état-major dantoniste et girondiste de Saumur. Rovère demanda encore l’arrestation de Fouché, mais on ne l’écouta pas.
Thuriot, Maignet, Hentz, se sachant désignés d’avance, ne siégeaient plus ; ils se cachaient. Ils échappèrent aux recherches. Cambon disparut à temps, comme l’avait fait Vadier. Les six restant, furent expédiés à Ham. Après quoi, les vainqueurs, sûrs d’avoir maté l’opposition dans l’Assemblée et les patriotes dans Paris, déclarèrent que la Constitution de 93 serait remplacée par une autre. À peu près tout entière d’accord là-dessus, la Convention nomma aussitôt une commission de onze membres qui lui présenterait un texte nouveau.
Spécialiste des travaux constitutionnels, depuis Versailles où il collaborait avec Lanjuinais, Cambacérès, Sieyès, La Révellière-Lépeaux, Claude aurait dû figurer dans cette commission. Il ne fut pas choisi parce qu’on n’y voulait point de membres des anciens Comités, et parce qu’il n’était pas revenu siéger aux Tuileries. Muni d’un congé en bonne et due forme, retiré à Neuilly la plupart du temps, il avait mis au point ses Principes d’une Constitution républicaine. Louvet, auquel il apporta le manuscrit, dans sa boutique du Palais-Égalité, l’approuva fort et se chargea non seulement de l’imprimer, de le vendre, mais encore de soutenir ces principes dans la commission des onze, dont il était membre. Fidèle à l’idéal de ses amis morts, les Roland, Buzot, Pétion, Guadet, il demeurait foncièrement attaché à la république, et il déplorait l’esprit de réaction qui gagnait chaque jour parmi les Soixante-Treize.
« Reprends ta place à l’Assemblée, dit-il. Je conçois ta retraite, mais nous avons besoin d’hommes comme toi. Au fond, tu as toujours été un modéré, tu t’es efforcé d’accorder Danton avec nous, tu as combattu Hébert et Robespierre devenu dictateur. Eh bien, c’est désormais le temps des modérés. Il n’y a plus de risque à gauche, nous devons mettre ensemble toutes nos forces pour refréner la droite. Toi-même, ne prêchais-tu pas cette union !
— Certes ! et tes paroles me font plaisir. Mais je crains que le temps des modérés ne soit pas encore venu. La guillotine sèche de la déportation a remplacé la sanglante Louisete, la passion de vengeance substitue une autre terreur à la froide Terreur dirigée contre les ennemis de la patrie. Aujourd’hui, ce sont les républicains que frappent d’anciens terroristes passés à la réaction. Nous serons tous atteints, moi, toi-même peut-être. Ils ne voient pas, ces hommes aveuglés, qu’ils échauffent dans le peuple une formidable colère. Elle éclatera comme un volcan, je te le dis, je le pressens. Je suis las de rester sur mon banc, comme un terme, impuissant à rien empêcher. »
Néanmoins, le 2 4 Germinal, 13 avril, Claude reprit son siège à la Convention. Il le reprit avec une grande émotion patriotique, pour ratifier le traité signé à Bâle, huit jours plus tôt, par Barthélémy et le plénipotentiaire prussien Hardenberg.
C’était le résultat des victoires de la république, la rupture enfin de la coalition dont le cabinet de Berlin sortait en faisant la paix. Ne demeuraient plus en armes contre la France que l’Autriche lasse, la Russie lointaine, l’Angleterre durement touchée par la perte de son influence aux Pays-Bas, de tout débouché sur le continent. L’Espagne cherchait à négocier.
Par le traité de Bâle, la Prusse reconnaissait pratiquement à la république la frontière du Rhin, séculairement et en vain ambitionnée par la monarchie. Les troupes françaises évacueraient la rive droite, elles continueraient d’occuper la rive gauche en attendant la paix générale avec l’Empire. La Prusse acceptait d’agir en médiatrice auprès des États allemands. Elle laissait les mains libres à la France en Hollande. Enfin
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