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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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osant, lui, le massacreur des Marseillais, des Toulonnais, lui engraissé de sang et de rapines, réclamer à la Convention le châtiment de Fouquier-Tinville. « Tout Paris attend son supplice, justement mérité. Je demande qu’il aille cuver dans les Enfers le sang qu’il a versé. » En effet, tout Paris connaissait le rôle joué par l’accusateur public ; mais Paris ignorait les férocités de Fréron, de Barras dans le lointain Midi. Quoi de mieux, pour en détourner l’attention, que de la fixer sur « les crimes de Fouquier » ? Il allait donc servir de bouc émissaire aux hommes perdus. Aussi Claude, sitôt après le décret d’arrestation, rendu le 14 Thermidor, était-il allé dire à la douce Henriette Fouquier que son mari pouvait compter sur lui comme témoin à décharge.
    Il fut convoqué pour le 8 Floréal – 27 avril. Fouquier-Tinville se trouvait en prison depuis plus de sept mois, et son procès durait depuis vingt-huit jours. À plusieurs reprises au cours de ces mois, Claude avait été entendu par les magistrats instructeurs et s’était entretenu avec les deux défenseurs successifs : La Fleutrie puis Gaillard de La Perrière. À présent, dans la situation faite aux anciens membres des Comités, témoigner publiquement en faveur de l’ex-accusateur, sur lequel tombaient toutes les haines, devenait un acte bien périlleux. Carnot, cité à comparaître, avait estimé prudent de s’y dérober en se disant malade, avec certificat médical à l’appui. Claude ne balança pas cependant.
    Le Tribunal révolutionnaire, deux fois rénové depuis le 9Thermidor, siégeait toujours dans la Grand-Chambre de la Tournelle – la salle de la Liberté –, sous le magnifique plafond bleu et or. Le dallage de marbre, le papier gros bleu sur les murs, les gradins ménagés pour les prévenus, rien n’était changé, sinon que Fouquier-Tinville et vingt-trois autres membres ou jurés du tribunal s’étageaient sur ces gradins. En face, de nouveaux jurés et d’autres juges, un autre accusateur public installé à la table aux pieds de griffon, portaient à leur tour le manteau noir et le chapeau empanaché de plumes noires. Pour garantir leur impartialité, juges et jurés avaient été pris tous hors de Paris – ce qui, au vrai, ne garantissait pas grand-chose.
    Fouquier, maigri, plus blême, les sourcils plus charbonneux, plus en accent circonflexe que jamais, occupait au bas des gradins le fauteuil, le pot, où il succédait à Danton, à Hébert, à Madame Élisabeth, à Marie-Antoinette, à Charlotte Corday, à Manon Roland, à tant d’autres victimes ; et, comme elles, mais pour une tout autre raison, il était d’avance condamné. Son procès, avec sa minutieuse instruction, ses témoins, ses défenseurs, ses formes ostensiblement observées, n’offrait de la justice que les apparences. Cette hypocrisie indignait Claude. Quand on envoyait à la guillotine sur simple constatation d’identité, du moins ne cachait-on pas que l’on tuait parce qu’il fallait tuer sauvagement pour épouvanter tous les ennemis de la nation. Maintenant, on tuait sans besoin, par vengeance ; et on prétendait le faire au nom de l’humanité !
    En réalité, Fouquier-Tinville devait expier lui aussi la mort des grands Girondins et surtout de Danton, de Lucile Desmoulins si chère à Fréron. Qui songeait à juger Dobsen ? Président du tribunal révolutionnaire jusqu’au 22 Prairial an II, il avait pourtant prononcé la condamnation à mort de Bailly et de cent autres. Nul ne s’en souciait. Mais Herman figurait à côté de Fouquier parce qu’il présidait au procès des Dantonistes. Et sur quoi reposait le gros de l’accusation présente ? Sur les témoignages de deux greffiers de Fouquier-Tinville : Fabricius Pâris et Wolff, tous les deux ardents amis de Danton, placés par lui au tribunal, et pleins de haine pour Fouquier. Une parodie de justice ! L’intéressé le démontrait dès la première audience en déclarant : « C’est Paris qui a remis au substitut Cambon les pièces du réquisitoire. Je le demande, un greffier dépositaire de pareilles pièces doit-il être entendu comme témoin principal ? » Cette affirmation, reproduite par quelques journaux impartiaux, personne ne l’avait démentie.
    Néanmoins, il eût été maladroit d’attaquer la cour devant laquelle on déposait. Ayant reçu la parole, Claude se borna donc à la cause elle-même. « Tout d’abord,

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