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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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vain, car des piquiers, la pointe dardée, et des fusiliers défendaient chaque pièce. Dubois néanmoins commanda un mouvement par les ailes pour tenter éventuellement de les rabattre sur le centre. Dans cette évolution, un peloton de gendarmes, mettant tout à coup ses chapeaux à la pointe des sabres, tourna bride vers les insurgés, aux cris de : « Vive les patriotes ! Vive la République ! »
    Delorme n’avait attaché aucune importance à la manœuvre adverse. Ni aux ailes ni au centre, son front ne courait le moindre risque. Il suffisait d’en donner le signal, l’armée thermidorienne serait écrasée à la première décharge. Le mulâtre hésitait pourtant. Sa supériorité même le paralysait. Moins sûr d’anéantir les uniformes bleus, il n’eût pas balancé à engager le combat. Mais ce n’était pas un combat qu’il allait déclencher, ce serait un massacre. Or ces gens-là, en face, il ne les haïssait point, il n’en voulait nullement faire une boucherie. Chabrier, Duval partageaient ses sentiments. La haine qui leur eût assuré la victoire leur manquait. Hommes de conscience, leur terrible responsabilité les effrayait. Et puis, si vils, si détestés que fussent les Thermidoriens, la Convention n’en gardait pas moins son caractère de représentation nationale. Ils l’avaient protégée, hier, contre la foule au désespoir. Ils entendaient aujourd’hui la contraindre à remplir les vœux du peuple, non point la noyer dans le sang.
    De l’autre côté, on mesurait le péril et l’on restait sur la défensive, en se gardant de toute provocation. Longtemps un mortel silence plana sur ces masses affrontées, entre lesquelles pouvait à tout moment éclater la foudre. On n’entendait que le sabottement ou les hennissements des chevaux, les cris des martinets tournoyant dans le ciel rose et vert. Le soir venait. Il fallait agir. Delorme, levant son sabre, ordonna : « Allumez les mèches ! » Mais, cela fait, il marcha vivement vers Dubois, à cheval avec son état-major, devant l’entrée de la cour nationale. « Citoyen général, lui dit le grand mulâtre, retire tes troupes, sinon je vais commander le feu. Ce sera une effroyable et inutile hécatombe. Vous n’êtes pas en état de nous tenir tête, tu le sais bien. » Duval, qui s’était avancé lui aussi, ajouta : « Nous ne voulons de mal à personne. Nous sommes ici pour réclamer les droits du peuple et non pour tuer des citoyens. Devront-ils s’entre-massacrer parce que les uns sont à l’aise, les autres malheureux ? »
    Dubois saisit la situation : au fond, ces gens-là ne demandaient qu’à négocier. « Je ne puis me retirer sans ordres, répondit-il, mais j’en vais envoyer prendre à la Convention. »
    Le 2Juin, Hanriot non plus n’entendait nullement mettre à feu et à sang l’Assemblée nationale. Il n’en déclarait pas moins avec violence : « Si, dans une heure, elle ne m’a pas livré les Vingt-Deux, je la ferai canonner. » Et elle s’était inclinée devant cet ultimatum. Mais Hanriot avait derrière lui les neuf de l’Évêché, sachant très précisément à quoi ils tendaient sous les apparences de la confusion, et ils disposaient certainement d’intelligences parmi les Dantonistes pourris : les Chabot et autres. Aujourd’hui, même si Fouché, comme le pensait Claude, inspirait de loin les insurgés, ils ne pouvaient cependant compter ni sur sa complicité ni sur aucune aide dans la Convention.
    Avertie par Dubois, elle délégua douze représentants pour « entendre les plaintes des citoyens qui s’adressaient à elle ». Déjà Tallien et plusieurs autres membres des deux Comités avaient pris les devants. La délégation les trouva sur la place, parlant aux sectionnaires, les assurant que l’Assemblée se souciait d’eux, qu’on venait, tout le jour, de rendre des décrets en leur faveur. Les délégués firent de même. Ils passèrent dans les rangs, affirmèrent leurs bonnes intentions, écoutèrent les doléances, prodiguèrent les promesses. Enfin, ils invitèrent ceux qui semblaient les meneurs à composer une députation, offrant de la conduire eux-mêmes à la barre.
    En effet, ils l’y menèrent, obtinrent pour elle la parole. L’orateur fut François Duval. « Nous sommes, dit-il, chargés de vous demander la Constitution de 93 et la liberté des patriotes. » Des huées l’interrompirent. Les muscadins avaient succédé aux femmes dans les

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