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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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égalaient presque celles des sections révoltées, et l’on attendait encore quatre mille hommes. Sûre de n’avoir plus rien à craindre, la majorité thermidorienne organisa dès lors la répression. Barras n’étant pas là, elle commença par adjoindre à Delmas deux autres membres du Comité de Salut public : le colonel Aubry et Gillet haï des patriotes nantais, pour régler les mesures militaires. Elle décréta la peine capitale contre quiconque battrait la générale ou sonnerait le tocsin sans y être autorisé. Elle institua une commission militaire qui jugerait sans appel les émeutiers appréhendés le 1 er  Prairial. Les condamnés seraient exécutés sur-le-champ. Enfin, elle convertit en décret d’accusation le décret d’arrestation rendu l’avant-veille contre Romme, Duroy, Bourbotte, Duquesnoy, Goujon, Prieur de la Marne, Albitte, Soubrany, Peyssard, Lecarpentier, Pinet, Bory, Fayaud. Et elle fit de même pour les prisonniers du 12 Germinal : Ruamps, Duhem, Amar, Chasles, Choudieu, Foussedoire, Huguet, Léonard Bourdon, et ceux du 16 : Cambon, Thuriot (toujours en fuite l’un et l’autre), Levasseur, Moïse Bayle, Crassous, Maignet, Granet, Hentz. Tous comparaîtraient devant un tribunal que les Comités auraient à désigner. Au lieu de la simple détention dans une enceinte fortifiée, avec la loi de grande police les Montagnards traités ainsi risquaient des peines graves, la déportation à Cayenne, sinon la mort.
    Sans perdre un instant, le Comité de Sûreté générale – ou, plus exactement, Rovère, seul, au nom de celui-ci – choisit cinq juges pour former la Commission militaire. Dès midi, ils siégeaient à la Tournelle, dans la chambre de l’Égalité, et, une heure plus tard, ils envoyaient à l’échafaud leur première victime : un garçon serrurier, Tinel, accusé du meurtre de Féraud. Tinel avait effectivement, dans la rue de la Loi, coupé la tête au jeune député exécré par le peuple comme tous ceux qui, depuis le 9Thermidor, s’occupaient des subsistances ; mais à ce moment Féraud était sans vie, on traînait son cadavre.
    De leur côté, le major général Delmas et Aubry – Gillet, dont Saint-Just en l’an II dénonçait la lâcheté et l’incapacité, faisait la mouche du coche – avaient pris de rapides dispositions. Paris, au centre, à l’ouest, semblait un camp. Comme la veille, les baïonnettes hérissaient les rues, les places, les quais, mais elles étincelaient aujourd’hui par-dessus les uniformes bleu et blanc, ou bleu avec les revers rouges des fantassins de ligne, au bicorne piqué du plumet écarlate. On ne voyait que compagnies en marche, bataillons bivouaquant, les fusils en faisceaux, pelotons de dragons verts, de hussards gris, batteries à cheval, allées et venues d’estafettes. Les ponts et tous les débouchés des faubourgs étaient fortement gardés, les réserves massées aux points stratégiques.
    Vers trois heures, Aubry et Delmas décidèrent de tâter les rebelles. Kilmaine, plutôt à la légère, dirigea ses douze à quinze cents muscadins par la rue Antoine. Ils atteignirent sans difficulté l’ancienne place de la Bastille, s’engagèrent dans le faubourg où le peuple s’écartait devant eux, se bornant à ricaner et à railler. Soudain, après avoir dépassé la rue Traversière, la colonne s’arrêta. La foule venait de démasquer une puissante batterie mise en position par Delorme à la hauteur des Bons-Enfants. Les canonniers agitaient leurs mèches, prêts à faire feu. Les gens du faubourg s’égaillaient, laissant les muscadins face aux canons.
    Beaucoup, parmi les jeunes gens à cadenettes et à moustache, avaient déjà enlevé d’assaut des batteries non moins redoutables. Mais ici, resserrés dans l’étroite voie qui ne permettait pas l’attaque en ordre dispersé, ils seraient hachés par une seule décharge à mitraille. Se sacrifier pour rien eût été absurde. Au bout d’un instant, Kilmaine se mit en retraite. Elle fut courte. Juste avant le débouché de la rue Traversière, la seule transversale dans ces parages, se dressait une barricade formée rapidement avec des charrettes et des matériaux préparés à cette fin dans les cours voisines. Les muscadins se trouvaient pris au piège entre cet obstacle et les canons. Il ne leur restait qu’à périr là.
    Heureusement pour eux, le peuple ne voulait pas leur mort. Il était joyeux. Il venait d’enlever, sur la Grève, le

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