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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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serrurier Tinel au moment où il montait à la guillotine. Au lieu de massacrer les jeunes gens, on se contenta de rabaisser leur morgue en les faisant passer par les fourches caudines. On leur ouvrit dans la barricade un étroit intervalle où ils durent se glisser un à un, couverts de quolibets. Mais on ne poussa pas l’humiliation jusqu’à les contraindre de déposer leurs armes, car les faubouriens distinguaient de la racaille à collet noir ces braves qu’ils avaient vus près de se lancer sur les canons.
    Le soir venu, les accès du faubourg, à l’est, au sud, au nord, étaient fermés par des barricades pourvues d’artillerie. À l’ouest, au débouché sur la place de la Bastille, Delorme réunit toutes les pièces restantes et les disposa de façon à battre entièrement l’esplanade. Puis le peuple s’en alla dormir, gardé par ses sentinelles. Avec les meilleures intentions, François Duval, Étienne Chabrier, leur petit comité, Delorme lui-même avaient commis la pire erreur.
    Le 4 Prairial, aux premières heures, l’armée thermidorienne se grossit des quatre mille fantassins attendus. Peu après, elle se mit en mouvement, sous les ordres du général de Menou : cet ancien membre du comité militaire sous la Constituante, qui avait, au retour de Varennes, emporté le dauphin dans ses bras, causant à la reine une si grande frayeur. Plus tard, commandant en Vendée une brigade et battu par le jeune La Rochejaquelein, il eût payé de sa tête cette maladresse, sans la protection de Barère. Promu divisionnaire après Thermidor, il venait de se voir confier par Aubry et Delmas, comme lui officiers d’ancien régime, le soin d’exécuter leur plan. Celui-ci n’exigeait aucune éminente qualité tactique ; il s’agissait tout simplement d’investir le faubourg Antoine. À la fin de la matinée, ce fut chose accomplie. L’armée populaire, encerclée dans son fort, n’en pouvait plus sortir. Aussitôt, les Comités firent rendre par la Convention un décret ordonnant aux sections en révolte : 1 o  de livrer Tinel ; 2 o  d’abandonner leurs armes, faute de quoi le faubourg serait réduit par la famine. Menou, établi avec son état-major sur l’emplacement de la Bastille démolie, face à Delorme, envoya un parlementaire lui communiquer ce texte et lui enjoindre d’obéir sans retard.
    Duval et ses compagnons mesurèrent alors l’erreur qu’ils avaient commise en concentrant toutes les forces de l’insurrection dans un espace facile à défendre, certes, mais aussi à bloquer. Erreur irréparable. Il ne restait qu’à se soumettre. On ne pouvait même pas mourir en combattant, car on eût exposé la population aux coups de l’artillerie adverse. Cependant des femmes, enragées par le désespoir, réclamaient la bataille : « Aux armes ! aux armes ! criaient-elles. La liberté ou la mort ! »
    À quatre heures, Menou, impatienté, donna l’ordre : « En avant ! » Ses troupes, sous la protection de leurs batteries, traversèrent la place. Les rebelles ne tirèrent pas. Une étoffe blanche s’agita au-dessus de leurs rangs. Ils capitulaient.

VI
    Tinel, repris, fut exécuté. Après quoi la Commission militaire commença par envoyer à la guillotine les gendarmes passés à l’insurrection le 2. Puis elle s’occupa des meneurs. Delorme, Duval, Chabrier, qui s’étaient refusés à verser le sang, versèrent le leur sur l’échafaud avec trente-six autres membres des ex-comités révolutionnaires de section. Douze, dont Pierre Dorisse, furent condamnés à la déportation, sept aux fers, trente-quatre, dont Pierre Lime, à la détention.
    Du 5 au 8 Prairial, en application de la loi votée le 2 au soir et donnant aux autorités sectionnaires le droit de traduire elles-mêmes leurs terroristes devant les tribunaux, huit mille personnes allèrent en prison attendre un jugement. Dès le 5, les bataillons des sections désarmées le 4, avaient été dissous. La distinction entre citoyens actifs et citoyens passifs, abolie la veille du 1oAoût, fut rétablie ; les ouvriers, artisans, journaliers, tout individu ne vivant que d’un salaire, ne purent plus faire partie de la garde nationale. Désormais, elle se composa exclusivement de propriétaires.
    Claude, impuissant, voyait se réaliser tout ce à quoi il s’attendait depuis les premiers jours de germinal. En voulant maintenir ce qui ne pouvait plus être, les patriotes avaient-détruit ce que l’on eût pu

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