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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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boulet lancé par Bergeret avec les pièces de chasse. Un hasard. Par petite ou même jolie brise, il n’aurait eu aucune importance. Dans les circonstances présentes, la suite en fut terrifiante et d’une vertigineuse rapidité. Avec le boute-hors et le chouque, toutes les manœuvres capelées ou ridées sur eux s’étaient rompues, provoquant la chute du petit perroquet, du petit mât de hune, l’envol du foc. Privée, en pleine évolution, de cette voile qui compensait les violents efforts du vent à l’arrière, sur la brigantine, la Sovereign manqua au gouvernail. Elle fit une abattée brutale et tomba dans le creux de la houle. Les lames, le prenant en flanc, l’escaladèrent, la couchèrent furieusement sur tribord, déferlèrent par les sabords de la batterie, par les écoutilles. Elle engagea. Tout un côté de son pont disparut sous les vagues. Dans ce renversement, les canons de bâbord, relevés d’un seul coup presque à la verticale et comme suspendus en l’air, cassèrent leurs bragues, se précipitèrent de toute leur masse sur la muraille engagée qui fut défoncée net. Des cataractes s’engouffrèrent alors dans le navire. Sous leur poids, on le vit se relever – brisant le reste de sa mâture haute tandis que l’air comprimé par la ruée de l’eau faisait éclater le pont –, et couler à pic au milieu d’un énorme remous d’écume. La houle l’engloutit, passa, découvrit les hunes, les submergea, puis ce fut fini. De la frégate si ardente et si fière un instant plus tôt, il ne restait rien hormis des virures, des espars, des débris auxquels un petit nombre de survivants s’accrochaient.
    Sur la République régnait non point la joie d’avoir si totalement défait l’ennemi, mais l’effroi causé par une catastrophe si soudaine, si saisissante pour des marins. « Ce n’est pas possible ! ce n’est pas possible ! » répétait un des plus jeunes aspirants, livide, les mains crispées sur la lisse du fronteau. « Eh bien ! murmura le lieutenant Eyssandier, pâle lui aussi, j’avais entendu parler de navires envoyés au fond par un seul boulet, mais jusqu’à présent je n’y croyais pas. » Fernand surmonta sa pénible impression. D’un instant à l’autre, les vaisseaux anglais seraient là. « Revenons en route », dit-il. Un peu plus tard, il fit prendre de nouveau un cap de 135 o , et il donna comme instructions au second de virer plein ouest sitôt dépassé le 8 e  degré de longitude, afin de regagner Brest en évitant l’escadre britannique. Après quoi, il descendit rédiger son rapport.
    Le lendemain, 28 Prairial, à six heures du matin, la République louvoyait contre le vent de terre pour rentrer dans l’Iroise, lorsque le chef de quart fit prévenir le commandant que l’on relevait, droit dans le nord, des navires très probablement ennemis. Fernand déjeunait. Il acheva vivement son café afin d’aller se rendre compte. Le temps était toujours méchant, mais plus clair que la veille ; la mer, hachée par le renversement du flot et par les sautes de la brise. Monté sur le banc de quart, on apercevait, à peu près sur la longitude d’Ouessant, des voiles pour le moment confuses. Lord Bridport descendrait-il donc en latitude, à présent ?
    Fernand commanda de tirer un long bord au nord-quart-est, et grimpa encore une fois jusqu’aux barres de perroquet. Bientôt, il put distinguer à la lunette une flotte d’une quinzaine de voiles. Trois frégates l’éclairaient. Un peu plus au nord, venaient des vaisseaux de ligne. On ne voyait pas leurs coques, mais les mâts trapus ne prêtaient point à confusion. Des deux-ponts de trente-six à quarante canons. Cinq au total. L’une des frégates arborait, par-dessus la flamme de guerre, celle d’un officier supérieur. Derrière cette ligne, pointaient toutes sortes de mâtures inégales. L’ensemble bien en ordre, bien rassemblé, comme seuls savaient naviguer les Anglais. Fernand poussa un petit sifflement. Ce n’était pas Bridport, mais le convoi qu’il attendait. Une véritable expédition ! Ayant fait beaucoup d’ouest, hier, pour secourir ses frégates, contraint de détacher des vaisseaux, l’un pour recueillir les rescapés de la troisième, les autres pour remorquer les deux premières, enfin privé de navires rapides pour battre au loin la mer, l’amiral britannique avait manqué ce convoi – lui-même attardé, sans doute, par le vent contraire. L’intercepter ? On

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