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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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n’y pouvait prétendre. C’était déjà beaucoup d’avoir gêné Bridport. Il fallait plus que jamais rejoindre Brest sans perdre un instant.
    Fernand se trompait. Lord Bridport avait bel et bien rencontré le convoi, ce matin à l’aube. Mais, sachant l’escadre française ancrée à Brest, au lieu d’accompagner Warren il estimait plus efficace de bloquer l’ennemi au port. Ainsi l’expédition ne courrait aucun risque, le commodore avec ses huit navires n’ayant rien à craindre des corsaires ou des quelques bâtiments légers qui tenaient la mer. D’ailleurs, il connaissait maintenant la position de l’amiral et l’appellerait à la rescousse en cas de besoin.
    Lord Bridport, à son tour, ignorait une chose : pendant que Fernand l’entraînait dans l’ouest, Villaret-Joyeuse était sorti avec toute une division.

II
    Comme le laissait prévoir, la veille, l’embellie tardive, le temps devint peu à peu exécrable, empêchant la République de voir l’escadre anglaise établir sa croisière devant l’Iroise et dissimulant la frégate française aux vigies ennemies. Coups de vent, grains, nuages effrangés courant au ras des vagues, tout se conjuguait pour rendre la visibilité quasi nulle et extrêmement pénible la navigation, toujours délicate dans le canal des Irois. Au soir, en approchant la pointe Saint-Mathieu par les Pierres-Noires, on eut en outre à lutter contre la brise de terre. Ce fut seulement à dix heures qu’on atteignit l’anse de Berthaume, station de la division légère. Fernand se fit conduire aussitôt à bord de son chef. Celui-ci, réveillé dans son premier sommeil, le reçut avec une simplicité toute républicaine, en chemise, l’écouta, le complimenta et poursuivit : « L’amiral est parti hier soir, à la tête de huit gros-culs, pour dégager Duplessis bloqué à Belle-Île. Mon cher Dubon, il ne te reste qu’à remettre à la mer. Mille regrets. Je n’ai sous la main aucun autre bon marcheur. La Virginie croise sous le 46 e  parallèle, car le Comité de Salut public croit possible une tentative espagnole en Gironde, malgré les pourparlers de paix. Toi seul peux donc rejoindre rapidement l’amiral. Va-t’en accoster la Méduse ; Giboin s’est ravitaillé ce soir, je lui envoie immédiatement l’ordre de te céder les approvisionnements de bouche et d’artillerie dont tu dois avoir besoin. »
    C’est ainsi qu’à une heure du matin, le 29 Prairial, la République, bénéficiant cette fois du vent et de la marée, coupait en diagonale la sortie du goulet, laissait le feu de Roscanvel par bâbord arrière et faisait voile grand largue sur le Corbeau. À six heures, elle débouquait du raz de Sein, filant à plusieurs milles de l’aile droite anglaise dont nul ne soupçonnait encore la présence entre Ouessant et l’île. Il fallut alors prendre le largue, allure plus lente. Néanmoins on doublait à midi les roches de Penmarch après avoir traversé bon train la baie d’Audierne. Il ne restait qu’à descendre est-quart-sud et de nouveau grand largue, en rangeant les Glénans. Sans doute rallierait-on l’amiral dans les parages de Groix. Avec ses gros patauds médiocrement manœuvrés, il avait bien mis vingt-quatre heures pour quitter l’Iroise très au large de Sein, car ils ne se seraient pas aventurés dans le raz par vent d’ouest, et un peu moins de temps pour atteindre le 6 e degré de longitude. Mais Groix, mal distincte dans la brouillasse, disparut par le travers bâbord, à sept heures du soir, sans que les vigies eussent lancé aucun appel. À onze heures, Fernand s’estimait, d’après sa vitesse et sa dérive, à environ dix mille de Quiberon en longitude et à cinq ou six milles de la pointe des Poulains, en latitude. La nuit opaque, noyée, ne permettait de viser ni une étoile ni un feu. Venir davantage sur Belle-Île eût été imprudent. Fernand fit serrer le plus possible de toile, ne gardant que le petit foc, le grand-hunier au ris de chasse, la brigantine également au dernier ris : juste l’indispensable pour gouverner. Il prescrivit de tirer des bords est-ouest-est en virant cap pour cap toutes les heures et sans varier de plus de 3o" en latitude. Cela, calculait-il, le mettrait, à l’aube, non loin de son point actuel. Le temps se serait amélioré, car le baromètre remontait lentement depuis le déclin du jour. En attendant, on risquait d’aller à l’aveuglette aborder les gros-culs, qui devaient eux

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