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Les hommes perdus

Les hommes perdus

Titel: Les hommes perdus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Margerit
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on affalait le canot du commandant. Son équipage le mena sous l’échelle de côté. Fernand empoigna les deux tire-veille déroulés, pendant contre le flanc du navire, et descendit vivement à reculons les brefs degrés de bois en saillie sur la coque.
    Cinq minutes plus tard, la Montagne accostée, comme il en escaladait la haute muraille, il entendit rouler des tambours. Prenant pied sur le seuillet de coupée, il se vit reçu par un piquet de soldats de marine – chapeau ciré, court habit bleu, pantalon blanc – qui lui portaient les armes. Le second lieutenant, son égal en grade, l’attendait et souriait de sa surprise. En le conduisant à la grand-chambre, il lui dit : « Nous avons un hôte très résolu à restaurer les traditions, vous le savez, Monsieur. Désormais, dans la flotte de Brest, sur tous les navires, les honneurs devront être rendus aux capitaines arrivant à bord. On a rédigé là-dessus, et sur tout ce qui concerne la hiérarchie, depuis le quartier-maître jusqu’à l’amiral, de minutieuses instructions.
    — Il vaudrait un peu mieux s’occuper d’amariner les équipages.
    — Mon pauvre Dubon ! Saint-André y aurait peut-être réussi, avec le temps ; mais ce vieux croûton !… Tiens, regarde : voilà ce qu’il a en tête. »
    Deux factionnaires montaient la garde à l’entrée du château arrière. Ils s’écartèrent devant les officiers en portant les armes.
    « Évidemment, c’est plus facile de rétablir les honneurs que de transformer des culs-terreux en marins. »
    Topsent se trouvait dans la grand-chambre blanche et dorée, avec Villaret-Joyeuse. Celui-ci présenta élogieusement Fernand. Le député semblait froid, méfiant et orgueilleux. À l’habit bleu-gris des conventionnels en mission et à leur large ceinture tricolore, il mariait le gilet rouge, la culotte rouge, la cravate noire des officiers de marine. Son chapeau, empanaché de plumes aux couleurs nationales, reposait sur la table, au bout de laquelle un secrétaire griffonnait.
    Fernand exposa brièvement les faits. Il s’étendit davantage sur la composition du convoi. Topsent l’interrompit. « Êtes-vous sûr, monsieur, qu’il s’agisse d’un convoi ?
    — J’en suis sûr, monsieur le représentant : une quinzaine de navires divers, fortement escortés.
    — Cependant vous ne les avez pas vus.
    — Je n’ai pas vu leur bois, mais j’ai examiné avec soin leurs mâtures. Je suis certain de ne m’être pas trompé.
    — Il me paraît étonnant, dit Topsent à l’amiral, qu’une telle expédition ait été réunie sans que le Comité de Salut public en fût informé et m’en eût averti. Vous auriez dû, lieutenant, pousser davantage votre observation. »
    Ça c’était un comble ! Fernand regarda Villaret-Joyeuse, qui lui adressa un signe des yeux. « J’ai la plus totale confiance, dit-il, dans les talents du lieutenant de vaisseau Dubon. Il en fournit une nouvelle preuve : dans une même journée, désemparer deux ennemis et en envoyer un autre par le fond n’est pas exploit d’un marin médiocre.
    — Je n’ai point voulu dire cela. Vous vous êtes distingué, monsieur, d’une façon exceptionnelle ; j’en rendrai compte au Comité avec tous les éloges que votre exploit, en effet, mérite. Mais ce convoi, hum !… Vous en étiez, si j’entends bien, à plus de deux milles, par mauvais temps.
    — Avec un ciel assez clair néanmoins, et j’ai observé des barres de perroquet.
    — Oui, oui. Deux milles. Et selon vous, où serait-il, présentement, ce convoi ?
    — Sur le 48 e  parallèle, s’il n’a pas encore rencontré lord Bridport. Au large de la baie d’Audierne, s’il l’a rencontré.
    — Fort bien. Je vous remercie, monsieur. L’amiral et moi allons délibérer. Veuillez attendre vos instructions. »
    Fernand, sur le gaillard, causait avec le commandant de la Montagne et ses officiers, lorsque Villaret-Joyeuse survint. Montant au banc de quart, il examina les huit vaisseaux épars qui se rassemblaient lentement, donna des ordres pour les ranger en ligne de file. Puis il appela Fernand, et, le prenant par le bras, se mit à faire avec lui les cent pas le long du bord. « Tu as accompli une magnifique besogne, mon garçon, lui dit-il paternellement. Je suis très content de toi. Pour le convoi, il n’y a aucun doute. Topsent est devenu baderne, faute de naviguer. Il ne voit que par le Comité de Salut public, il n’a pas

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