Les huguenots - Cent ans de persécutions 1685-1789
de vingt-six maîtres dont une compagnie est
composée, si, suivant une répartition juste, les religionnaires en
devaient porter dix, vous pouvez leur en faire donner vingt et les
mettre tous
chez les plus riches
des dits religionnaires,
prenant
pour prétexte
que, quand il n’y a pas un assez
grand nombre de troupes dans un lieu pour que tous habitants en
aient, il est juste que les pauvres en soient exempts et que les
riches en demeurent chargés… Sa Majesté désire que vos ordres sur
ce sujet soient, par vous ou vos subdélégués, donnés de bouche aux
maires et échevins des lieux, sans leur faire connaître que Sa
Majesté désire, par là, violenter les huguenots à se convertir, et
leur expliquant seulement que vous donnez ces ordres sur les avis,
que vous avez eus que, par le crédit qu’ont les gens riches de la
religion dans ces lieux là, ils se sont exemptés au préjudice des
pauvres. »
En dépit de ces instructions, Marillac logea
les troupes
exclusivement chez les huguenots
, qu’ils
fussent riches ou pauvres. Lièvre, dans son histoire du Poitou,
relève ce fait que, à Aulnay, une recrue ayant été logée
indistinctement chez tous les habitants, le subdélégué de
l’intendant, accompagné de deux carmes, alla de maison en maison,
déloger les soldats mis chez des catholiques, et les conduisit chez
des huguenots.
Fidèle à sa politique de prudence, au début de
la campagne des conversions par logements militaires, Louvois
mettait sa responsabilité à couvert, en blâmant officiellement, les
violences trop grandes, surtout lorsqu’elles avaient provoqué des
plaintes trop retentissantes.
C’est ainsi qu’il blâmait l’intendant de
Limoges, d’avoir logé les soldats
uniquement
chez les
huguenots, et d’avoir souffert le désordre des troupes. Il
réprimandait de même Marillac, à raison de l’affectation qu’il
mettait, à accabler les huguenots de logements militaires, à
souffrir que les soldats fissent chez leurs hôtes des désordres
considérables
, et enfin à emprisonner ceux qui avaient
l’audace de se plaindre. Une telle conduite étant de nature à
sembler, disait-il, justifier les plaintes que les religionnaires
font dans les pays étrangers, d’être abandonnés à la discrétion des
troupes.
En blâmant
officiellement
ce qu’il
approuvait en secret, Louvois avait soin de formuler son blâme,
assez discrètement pour ne pas décourager le zèle de ses
collaborateurs. Reprochant à Boufflers d’avoir mis les soldats à
loger à
discrétion
chez les huguenots, il dit :
« c’est de quoi j’ai cru ne devoir écrire qu’à vous afin que,
sans qu’il paraisse qu’on désapprouve rien de ce qui a été fait,
vous puissiez pourvoir à ce que ceux qui sont sous vos ordres
restent dans les bornes prescrites par Sa Majesté. » Écrivant
à un intendant, pour blâmer un commandant de troupes qui a permis
au maire de Saintes d’employer ses soldats, hors de son territoire,
pour violenter les huguenots à se convertir, il arrive à cette
conclusion, à l’égard de ces deux coupables. « Sa Majesté n’a
pas jugé à propos de faire une plus grande démonstration contre
eux,
puisque ce qu’ils ont fait a si bien réussi
, et
qu’elle ne croit pas qu’il convienne qu’on puisse dire aux
religionnaires que Sa Majesté
désapprouve quoi que ce soit de
ce qui a été fait pour les convertir »
C’est à Louvois qu’étaient adressées les
lettres des gouverneurs et des intendants, et quand il y avait
quelque communication délicate à faire, ceux-ci imitaient l’exemple
de Noailles écrivant :
« Qu’il ne tardera pas à lui envoyer (à
Louvois) quelque homme d’esprit pour lui rendre compte de tout le
détail et répondre à tout ce qu’il désire savoir, mais ne saurait
s’écrire
. »
On ne saurait donc s’étonner de ce que
« aussi bien lors de la première dragonnade du Poitou, qu’au
moment de la grande dragonnade du Béarn en 1685, mettant sur les
bras des huguenots toute l’armée rassemblée sur les frontières de
l’Espagne » – les relations officielles mises sous les yeux du
roi se taisent sur les hauts faits des missionnaires bottés.
À propos de la violente conversion du Béarn,
Rulhières affirme avoir fait cette curieuse constatation :
« La relation mise sous les yeux du roi ne parle ni de
violences ni de dragonnades. On n’entrevoit pas qu’il y ait un seul
soldat en Béarn. La conversion générale paraît
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