Les joyaux de la sorcière
croire ! Il n’y a pas beaucoup d’hommes avec qui on pourrait te confondre.
— Il suffit d’une mauvaise description. Mon meurtrier n’était sans doute qu’un exécutant.
— Ou alors il n’aura pas osé recommencer mais une fois à terre tu devrais ouvrir l’œil… au cas où ce ne serait pas une méprise. Cela dit tu aurais dû m’en parler plus tôt !… Je suis ton ami que diable !
Et Vauxbrun, les larmes aux yeux, prit Morosini aux épaules pour une brève accolade qui donna la mesure de son émotion. Cette dernière soirée les deux hommes et la baronne Pauline la passèrent ensemble et le plus joyeusement du monde. Retrouver son Vauxbrun habituel avait fait beaucoup pour le moral d’Aldo : l’impression qu’un étau se desserrait…
Le lendemain, ils regardaient tous les trois depuis le pont supérieur approcher les côtes américaines.
Accoudée au bastingage entre les deux hommes, Pauline von Etzenberg enveloppée d’une immense et fine écharpe gris argent dont les pans flottaient au vent voyait se dégager peu à peu de la brume dorée du matin la poignée de « gratte-ciel » dont un demi-siècle avait saupoudré l’île de Manhattan (15) . L’ Île-de-France avait réduit ses machines et avançait lentement sur l’eau calme de l’immense baie de New York tandis que sur ses ponts, les appareils photos cliquetaient pour immortaliser la statue de la Liberté jadis offerte par la France et devenue le symbole même de l’Amérique.
À proximité, le beau navire noir, blanc et rouge s’arrêta pour laisser accoster une vedette portant des douaniers et des médecins. On n’entrait pas aux États-Unis sans montrer patte blanche et l’île proche d’Ellis Island avec ses bâtiments bas et ses quatre tourelles attendait pour de longs examens les candidats à l’immigration. Image grinçante tempérant la gloire de ce matin ensoleillé aux yeux de ceux pour qui la grande dame au flambeau de cuivre vert représentait l’espoir.
Oubliant son nom allemand et se retrouvant américaine cent pour cent, Pauline situait pour ses amis les principaux buildings en s’efforçant de les pointer du doigt : le Woolworth, le New York Téléphone, le Liberty, le Cunard, le Standard Oil, le Pulitzer, le Park Row, celui de la Bank of Manhattan et bien entendu l’imposant édifice municipal abritant la Mairie de la ville. Elle semblait tout à coup si heureuse de rentrer quelle en perdait une quinzaine d’années pour redevenir une adolescente enthousiaste. Et comme Aldo lui en faisait la remarque amusée, elle répondit :
— Vous avez raison. J’adore l’Europe mais chaque fois que je revois ma ville, je me demande comment il peut m’arriver de vivre loin d’elle.
— Je croyais que vous aimiez Paris ? émit Vauxbrun d’un ton qui traduisait sa déception.
— Mais certainement j’aime Paris ! Comment pourrait-on ne pas aimer Paris ? C’est une ville sublime et tellement amusante où j’ai de nombreux amis et j’y retournerai, soyez-en sûr, à maintes reprises mais c’est ici que l’épisode allemand terminé, j’entends planter ma tente…
Le pauvre amoureux ne fit aucun commentaire mais le soupir qu’il poussa en disait long et Aldo ne put s’empêcher de compatir. Après une Tzigane inaccessible, cette Américaine fantasque dont il réussirait peut-être à faire une maîtresse mais en aucun cas l’épouse dont il commençait à rêver ! L’arrivée tumultueuse des Ivanov et de Dorothy Paine outrée d’avoir dû laisser son chevalier volant, dépourvu bien entendu de visa, s’expliquer avec les services de l’immigration, changea la direction de ses idées. Pauline, naturellement, se précipita au secours de la jeune fille changée en fontaine en s’efforçant de la réconforter mais celle-ci ne voulait rien entendre.
— Nous avons préféré l’écarter, expliqua Ivanov. Elle était sur le point de sauter à la figure des fonctionnaires parce qu’ils ont déclaré que son Vincent ne pouvait pas débarquer dans ces conditions. Le Commandant Blancart et le Commissaire Villar ont eu beau déclarer qu’ils répondaient de lui et nous en avons tous fait autant mais la loi est la loi. Il va devoir rentrer en France.
Rien ne semblait pouvoir faire tarir les larmes de Dorothy. N’ayant pour les affronter que de minuscules carrés de batiste ornés de dentelles, les deux femmes se trouvèrent vite débordées.
— Donnez-moi votre mouchoir,
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