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Les mannequins nus

Les mannequins nus

Titel: Les mannequins nus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Christian Bernadac
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un magnifique cheval. Son arrivée a été annoncée de loin, car les S.S. chargés de nous garder qui, contrairement au règlement, se prélassent dans l’herbe, ont aussi peur que nous de leurs supérieurs. Pour que le chef trouve le chantier « en ordre », les sentinelles nous incitent à un travail redoublé par des coups de crosse distribués de tous côtés. Tant pis pour celle qui l’attrape sur la tête ou dans les reins ! Les précautions ont été suffisantes, l’officier est, paraît-il, satisfait. Il marmonne trois mots, nous avons su plus tard que ces trois mots exprimaient seulement de l’étonnement parce que nos têtes n’étaient pas complètement tondues.
    — La deuxième visite fut celle d’un civil polonais (un de ces nationalistes farouches qui se mirent au service des Boches). Un civil ! De nouveau, une lueur folle d’espoir me traverse. Il fera quelque chose pour améliorer notre sort… ! En fait, c’est pour lui que nous travaillons. Il nous a louées au camp et il entend que cette main-d’œuvre lui rapporte au maximum. Il est très mécontent de notre travail et signifie à nos Kapos que nous devons travailler plus vite et plus énergiquement.
    — À cinq heures et demie, la journée de travail se termine enfin et de nouveau, cinq par cinq, nous nous acheminons pieds nus, transies de froid maintenant, car une ondée orageuse nous a mouillées jusqu’aux os, vers un nouveau supplice. De tous côtés arrivent des colonnes semblables à la nôtre qui convergent vers la porte d’entrée. Le retour doit se faire dans le même ordre que le départ et nous devons nous garer pour laisser passer des colonnes qui doivent rentrer avant nous. Enfin, c’est notre tour. L’accès des blocks est encore interdit et nous sommes amenées directement à l’emplacement où nous devons subir l’appel. La cérémonie se déroule comme hier, celle de la pitance aussi, celle de la lutte pour un lit également. Et quand enfin, nous pouvons un peu causer entre Françaises, nous préférons nous taire, car à quoi bon ? Toutes nous avons compris que si aucun miracle ne survient, nous ne pourrons pas tenir longtemps à ce régime-là. Alors il vaut mieux rassembler ses forces pour essayer de tenir quand même.
    — Pour moi, le miracle s’est produit. Le chef de l’agriculture voulait utiliser cette main-d’œuvre bon marché à l’étude et l’exploitation d’un pissenlit des racines duquel les Russes extrayaient du caoutchouc. La proximité de l’usine de Buna rendait ce problème particulièrement intéressant. Mon titre de docteur ès sciences naturelles, et aussi la merveilleuse action de sa secrétaire, Annie Binder, d’origine allemande, mais Tchèque de naissance et de culture qui aimait la France et voyait là le moyen de sauver des Françaises, le poussèrent à me choisir ainsi que deux de mes camarades pour ce travail. À partir de ce jour, j’ai vécu dans des conditions d’hygiène meilleures et le travail fut moins dur. En principe, nous devions faire un travail de laboratoire, grâce à Popov et Nikitine (24) nous fûmes utilisées à charger de la terre, à enlever des mauvaises herbes et à laver les gamelles de nos Kapos.
    — En tout état de cause, j’ai été sauvée par cette chance inespérée et tout de suite nous avons réalisé ce que cela représentait. Je n’oublierai jamais cette phrase d’Andrée Weiler, mère d’une petite fille à peu près de l’âge de mon fils, qu’elle prononça après l’appel où mon numéro avait été désigné pour aller « Nach Vorner » (au bureau central) : « Tu reverras peut-être ton fils, toi. » Mais, pour vous toutes, mes sœurs, le supplice a continué avec la même intensité. Et les journées succédèrent aux journées. Toutes semblables. Seule Tamara, prise comme docteur à l’infirmerie, se trouvait aussi dans des conditions matérielles tolérables. Mais quel désarroi moral dans cette conscience pure de vingt-deux ans, de voir ainsi des malades souffrir sans pouvoir leur apporter aucun soulagement. Le soir, elle se sauvait et venait auprès de nous. Dans une visite furtive à nos amies, nous leur apportions ce que nous avions pu glaner pour elles dans la journée : un bout de chiffon, une bouteille vide pour emporter du café au travail, un peu de pain moisi méprisé par les détenues favorisées. Malgré toutes les défenses nous nous retrouvions et nous échangions nos impressions, nos

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