Les mannequins nus
fours et ont cessé le travail. La réponse du maître-chauffeur n’a pas dû lui paraître satisfaisante. Avec le bout recourbé de son épaisse canne – chaque garde S.S. en a une pour encourager les hommes du Sonder – il assène un coup formidable dans le visage du chauffeur. Un autre se serait probablement écroulé le crâne fendu sous un coup pareil. Le chauffeur en chef, l’homme le plus dur du kommando, s’est à peine ébranlé. Le sang a inondé son visage. Sans plus de réflexion, il tire des jambières de ses bottes un long couteau affilé et l’enfonce dans la poitrine du sous-officier S.S. Celui-ci s’écroule et deux chauffeurs qui sont aux aguets s’en saisissent et, ouvrant la porte du premier four, ils le poussent dans le feu. Tout cela s’est passé dans l’espace d’un éclair, mais un autre garde S.S. attiré par l’attroupement, a dû apercevoir les pieds bottés qui ont disparu dans le four. En courant, il s’approche pour se rendre compte qui a été jeté au feu tout habillé et chaussé. Ce ne pouvait être qu’un S.S. ou bien un homme du Sonder. Il n’a jamais su quel était celui des deux. Un homme du Sonder le reçoit d’un coup de poignard et, avec l’aide de deux compagnons, ils le jettent dans le four à côté de son camarade.
— En l’espace de quelques instants, les mitraillettes, les grenades et les boîtes d’écrasite passent de main en main. On entend un tir nourri et de nombreuses explosions à chaque extrémité de la salle d’incinération. D’un côté, c’est la garde S.S. et de l’autre côté le Sonderkommando. Une grenade à main tombe parmi les S.S. Elle en a tué plusieurs ou les a rendus inoffensifs. Du côté Sonder, il y a également des blessés et des morts. Cela rend leur lutte encore plus désespérée. Quelques S.S. tombent encore ; les autres, une vingtaine, jugent opportun de se retirer du bâtiment et ils courent sans s’arrêter jusqu’aux portes du crématorium. Là, ils se joignent aux groupes S.S. venus de l’extérieur qui entrent déjà en action.
— Le crématoire III (149) était en feu et les détenus du Sonderkommando des crématoires III et IV coupèrent les fils et s’évadèrent ; certains furent abattus sur-le-champ. Au crématoire I, les détenus coupèrent également la clôture électrique avec des ciseaux isolés et s’enfuirent. Il était prévu que les barbelés du camp des femmes seraient également coupés afin de leur permettre une fuite en masse. Cependant, en raison du déclenchement prématuré de la révolte, ce ne fut pas possible…
— Pris (150) au dépourvu, les Allemands perdaient la tête. Ils couraient à droite et à gauche, hurlaient des ordres et des contre-ordres. Visiblement, ils craignaient une révolte des internés. Ils nous firent rentrer dans les blocks sous la menace des armes.
— Je n’arrivais cependant pas à dominer ma curiosité : que se passait-il en vérité ? Profitant de l’impunité relative que m’assurait ma blouse d’infirmière, je quittai l’hôpital et me glissai jusqu’aux cuisines, situées à environ dix mètres de l’entrée du camp qui donnait sur la route des fours crématoires. C’était là un excellent poste d’observation.
— L’administration du camp avait dû lancer un appel téléphonique urgent à Auschwitz, car déjà plusieurs détachements de soldats se dirigeaient vers notre camp, les uns en camions, les autres en motos. Peu après l’infanterie de la Wehrmacht arriva à son tour, suivie de camions chargés de munitions, et klaxonnant sans arrêt. Bientôt le four crématoire fut cerné par la force armée qui ouvrit le feu nourri de mitrailleuses. La riposte fut bien faible : quelques rares balles de revolver, puis le silence tomba. Wehrmacht, S.S. et S.D. montèrent alors à l’assaut.
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La révolte, l’évasion massive avaient échoué. Les derniers membres du Sonderkommando encore en liberté dans les bois proches d’Auschwitz furent repris dans la nuit même. Les S.S. ne « conservèrent » dans l’enceinte des fours qu’un groupe de deux cents déportés dont le premier travail consista à brûler les corps des autres révoltés exécutés d’une balle dans la nuque.
— Un grand (151) coup avait été porté à l’assurance et à la confiance en soi des S.S. Le soulèvement eut une signification symbolique. Les mains vengeresses des détenus avaient abattu les premiers assassins S.S. à
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