Les murailles de feu
Immortels.
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Sa Majesté a requis que je décrive quelques-unes des pratiques d’entraînement des Spartiates et, notamment, celles qui intéressent l’éducation de la jeunesse selon le code militaire de Lycurgue. Un incident particulier peut servir à l’illustrer, non seulement en raison de ses détails, mais également de son atmosphère.
Il a eu lieu quelque six ans avant la bataille des Thermopyles. J’avais alors quatorze ans et n’étais pas encore servant d’un guerrier ; en fait, je n’étais à Lacédémone que depuis deux ans et je servais de partenaire d’entraînement de combat, parastates pais, à un jeune Spartiate de mon âge nommé Alexandros, déjà mentionné. Il était le fils du chef militaire, ou polémarque, Olympias et il était le protégé de Dienekès.
Alexandros descendait de l’une des plus nobles familles de Sparte et, par la branche des Euripontides, d’Héraklès même. Il n’était physiquement pas fait pour être guerrier ; dans un monde plus aimable, il eût été poète ou musicien ; il était à coup sûr le flûtiste le plus doué de sa classe, bien qu’il daignât à peine s’entraîner. Il était encore meilleur chanteur.
Peut-être les dieux y mirent-ils la main, mais, quand nous avions treize ans, il advint que nous fûmes tous deux fouettés le même jour, pour des délits différents : lui pour une infraction au code d’entraînement ou agogê boua et moi, pour n’avoir pas convenablement rasé le cou d’une chèvre destinée au sacrifice. Il se laissa tomber avant moi, non que j’eusse plus d’orgueil, mais j’avais été déjà fouetté ; j’en avais donc l’habitude. Malheureusement pour Alexandros, cette différence fut considérée comme un grave manquement. À titre de punition, ses instructeurs d’entraînement me désignèrent à son service en permanence, avec instructions de l’engager à la lutte jusqu’à ce qu’il pût me faire voir les étoiles en plein jour. Quant à moi, je fus informé que, si j’étais soupçonné d’indulgence à son égard, par crainte de battre quelqu’un d’un rang supérieur, je serais fouetté jusqu’à ce que mes côtes fussent mises à nu.
Les Lacédémoniens sont fort avisés dans ces matières ; ils savent qu’aucun arrangement ne peut mieux contribuer à attacher deux jeunes gens l’un à l’autre. Je resterais au service d’Alexandros et je deviendrais son servant quand, à vingt ans, il assumerait son rôle de guerrier dans la guerre. Rien ne m’eût convenu davantage. C’était la raison principale pour laquelle j’étais venu à Sparte, assister de près à l’entraînement et y participer autant que les Lacédémoniens le permettraient.
L’armée campait aux Chênes, dans la vallée de l’Otona, par une cuisante fin d’après-midi, se préparant pour un type d’exercices que Sparte est la seule à cultiver ; appelés octades ou oktonyktia, ce sont d’habitude des manœuvres de régiment, à cela près que, cette fois-ci, c’était une division qui s’y préparait. Plus de douze cents hommes, une mora entière, armés de pied en cap et suivis d’autant de servants et d’hilotes, s’installaient dans les vallées et s’entraînaient dans l’obscurité pendant quatre nuits, dormant le jour dans des bivouacs à ciel ouvert, à tour de rôle, prêts à l’attaque à tout moment ; puis ils s’entraînaient nuit et jour pendant les trois jours suivants. Les conditions étaient simulées pour prêter aux manœuvres toutes les rigueurs d’une vraie campagne, à l’exception des morts. On y organisait des assauts sur des collines pentues, chaque homme étant entièrement équipé, c’est-à-dire chargé de soixante-cinq à quatre-vingts livres d’armure et d’armes. Puis les assauts se faisaient sur des pentes descendantes. Puis en terrain plat. Celui-ci avait été choisi en raison de sa nature rocailleuse et des nombreux chênes tordus et bas qui garnissaient les pentes. L’astuce consistait à les contourner, comme l’eau autour d’un rocher, sans rompre la ligne.
Le confort était nul. Les rations de vin étaient réduites de moitié pendant les quatre premiers jours, puis il n’y en avait plus les deux jours suivants et, pendant les deux derniers jours, il n’y avait même plus d’eau. Les rations consistaient en pains de graines de lin, dont Dienekès assurait qu’ils ne pouvaient servir qu’à refaire la toiture des granges, et en figues ; aucun
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