Les murailles de feu
plat chaud. Ces manœuvres préparaient aux combats de nuit et elles étaient destinées à développer la sûreté du pied, l’orientation au jugé dans la phalange et l’action sans visibilité, particulièrement sur terrain inégal. Les Lacédémoniens exigent qu’une armée puisse manœuvrer ses lignes avec autant de sûreté quand elle n’y voit pas que lorsqu’elle y voit, car, ainsi que Sa Majesté le sait, dans la poussière et la terreur du premier choc frontal, l ’othismos, et dans l’épouvantable mêlée qui s’ensuit, aucun homme ne peut voir à plus de cinq pieds dans n’importe quelle direction et ne s’entend même pas crier dans le fracas.
Un malentendu courant chez les autres Hellènes, et dûment cultivé par les Lacédémoniens, veut que l’entraînement militaire Spartiate soit extrêmement brutal et sans esprit. Rien n’est moins vrai. Je n’ai connu en aucune autre circonstance la franche hilarité en cours dans ces exercices harassants. Les plaisanteries fusent depuis le moment où la trompette ou salpigx sonne le réveil jusqu’au moment où les guerriers fourbus s’enveloppent dans leurs manteaux pour dormir, et l’on entend encore des blagues s’échanger à mi-voix et des éclats de rire jaillir çà et là sur le terrain, jusqu’à ce que le sommeil écrase tout le monde.
Il s’agit là de l’humour particulier des soldats qui partagent leurs infortunes ; il est inaccessible à ceux qui ne sont pas sur le terrain et qui pourtant endurent les mêmes épreuves. Quelle est la différence entre un roi de Sparte et un fantassin ? demandera un soldat à son compagnon, alors qu’ils préparent leur litière sous une pluie glaciale. Le compagnon le considérera un moment avec une fausse morgue.
Plus les conditions sont dures et plus les plaisanteries semblent irrésistibles. J’ai vu de vénérables pairs qui avaient passé la cinquantaine et tout grisonnants, aussi graves que Zeus, tomber à quatre pattes ou sur leurs quatre fers, voire se pissant dessus tellement ils riaient. J’ai une fois vu Léonidas lui-même, incapable de se tenir debout pendant plus d’une minute, plié en deux par une plaisanterie. Et, chaque fois qu’il tentait de se redresser, l’un de ses compagnons de tente lui lançait une variante de la plaisanterie et Léonidas était repris par les convulsions du rire et retombait à genoux.
C’étaient des moments tels que ceux-là qui faisaient que Léonidas était apprécié de tous, pas seulement de ses pairs, mais également des néodamodes et des périèques. Ils voyaient leur roi, âgé de plus de soixante ans, partager leurs conditions ; et ils savaient qu’à l’heure de la bataille, ce ne serait pas dans la sécurité de l’arrière qu’on le trouverait, mais au premier rang, au chaud de l’empoignade.
Le but des octades est de pousser les soldats de chaque division et de chaque unité au-delà de l’humour. C’est quand les plaisanteries s’arrêtent, dit-on, qu’on apprend les vraies leçons et que chaque homme et la mora tout entière font ces progrès qui se révèlent précieux à l’heure requise. Les difficultés de l’exercice servent moins à muscler le dos qu’à durcir l’esprit. Les Spartiates disent que n’importe quelle armée peut vaincre tant qu’elle a des jambes, mais que la véritable épreuve commence quand la force a déserté son camp et que la victoire dépend de la seule volonté.
Le septième jour était passé et l’armée avait atteint ce degré d’épuisement et d’irritabilité qui était le but de l’octade.
L’après-midi touchait à sa fin, les hommes s’éveillaient à peine d’une sieste vaseuse, assoiffés et sales, attendant l’appel final pour la nuit. Tout le monde était affamé, las et desséché. L’on avait repris pour la centième fois la même plaisanterie sur le même thème, vivement une vraie guerre qu’on puisse dormir plus d’une demi-heure et avoir un vrai repas chaud. Les hommes peignaient leurs longues tignasses crasseuses en ronchonnant, tandis que leurs servants et leurs hilotes, aussi mal en point qu’eux, leur tendaient le dernier gâteau de figues sans vin ni eau et les préparaient au sacrifice du crépuscule. Pendant ce temps, armes et armures attendaient, parfaitement rangées, les exercices de nuit.
Le peloton d’entraînement d’Alexandros était déjà réveillé, en formation, avec huit autres garçons de la quatrième classe d’âge, des
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