Les murailles de feu
dignité, et même dans les chœurs, son frère l’avait éclipsé. Il était évident que Dienekès lui portait de la révérence, pas seulement celle d’un jeune frère pour son aîné, mais celle d’un homme pour un autre homme qu’il admirait objectivement.
— Quel couple faisaient Iatroclès et Aretê ! Toute la ville attendait leurs enfants. Quels guerriers, quels héros produirait donc leur lignée !
Mais ils n’eurent pas d’enfants et ceux qu’Aretê conçut de Dienekès étaient tous des filles. Dienekès ne le commenta pas, mais la déception se lisait clairement sur son visage. Pourquoi les dieux en avaient-ils ainsi voulu ? Quelle autre raison y avait-il à cela que leur malédiction, cette sanction divine pour le crime d’égoïsme de mon maître ? Dienekès s’arracha à cette méditation, car c’en était une, supposai-je, et désigna la pente qui descendait vers l’avenue des Champions.
— Tu vois donc, Xéon, pourquoi le courage devant l’ennemi m’est plus facile qu’à d’autres. J’ai en mémoire l’exemple de mon frère. Quel que soit le courage que les dieux me permettront de déployer, je sais que je ne serai jamais son égal. C’est mon secret. Et c’est ce qui fait que je suis si humble.
Il sourit, d’un sourire étrangement triste.
— Et maintenant, Xéon, tu connais les secrets de mon cœur. Et tu sais comment je suis devenu ce beau débris que tu as devant toi.
Je me mis à rire, c’était ce qu’il attendait. Mais la gaieté avait déserté ses traits.
— Je suis fatigué, dit-il en s’allongeant sur la terre. Si tu le permets, il est temps comme on dit de déflorer la vierge de paille.
Il s’installa sur son lit d’herbe et plongea tout de suite dans le sommeil.
LIVRE DEUXIÈME
ALEXANDROS
1
Les entrevues qui précèdent ont été rédigées au cours de plusieurs soirées, alors que les forces de Sa Majesté poursuivaient leur avance dans l’Hellade, toujours sans rencontrer de résistance. Les défenseurs des Thermopyles ayant été vaincus, la flotte hellénique ayant souffert encore plus de lourdes pertes en navires et en hommes à la bataille de l’Artémision, tous les Grecs et leurs alliés sur terre et sur mer ont décampé. Les forces de terre helléniques se sont retirées au sud, vers l’isthme de Corinthe, où les forces des cités grecques, Sparte comprise, se sont amassées à la suite d’une mobilisation générale ; elles ont entrepris la construction d’un mur pour défendre le Péloponnèse. Les forces de mer se sont retirées vers l’Eubée et le cap Sounion en vue de rallier dans le golfe de Saronique le principal de la flotte hellénique qui se trouvait à Athènes et à Salamine.
Les armées de Sa Majesté ont dévasté toute la Phocide. Les troupes impériales ont brûlé jusqu’au sol les cités de Drymes, Charade, Éroque, Tethronium, Amphissa, Néon, Pedies, Trites, Élatée, Hylampolis et Parapotami. Tous les temples et sanctuaires des dieux helléniques, y compris celui d’Apollon à Abae, ont été rasés et leurs trésors pillés.
Quant à Sa Majesté Elle-même, Son temps est absorbé vingt heures par jour par des affaires urgentes militaires et diplomatiques. Néanmoins, Son désir d’entendre la suite du récit du prisonnier Xéon n’a pas diminué. Elle a ordonné que les entrevues se poursuivent en Son absence et soient transcrites pour Son usage quand elle en trouvera le temps.
Le Grec a réagi avec vivacité à cet ordre. L’idée que son Hellade native soit assujettie par les forces écrasantes de l’Empire l’a jeté dans une grave détresse et semble avoir enflammé sa détermination d’en raconter autant que possible et le plus vite possible. Des informations relatives à la prise du temple de l’Oracle d’Apollon à Delphes ont semblé aggraver le chagrin du prisonnier. Il a émis en privé l’opinion que Sa Majesté est lasse du récit de ses expériences et de celles d’autres individus et qu’Elle souhaite aborder les sujets plus appropriés des tactiques, de l’entraînement et de la philosophie militaire des Spartiates. Le Grec a imploré la patience de Sa Majesté, alléguant que l’histoire semblait se raconter elle-même sur l’impulsion des dieux et que lui, le narrateur, ne pouvait que la suivre où elle le menait.
Nous avons repris nos séances en l’absence de Sa Majesté, au soir du neuvième jour de Tashritou, dans la tente d’Oronte, capitaine des
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