Les Mystères de Jérusalem
toi.
- Vous n'êtes pas russe? demanda Tom à l'homme en vert.
- Services spéciaux israéliens, monsieur Hopkins, dit l'homme à la chemise verte en ôtant la cigarette de ses lèvres.
- Mossad ?
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- Si vous voulez.
Tom tourna un visage blême de rage vers Orit.
- Toi aussi ?
Orit esquissa une douce moue. Tom eut l'impression que ses lèvres cherchaient à avoir une vie propre et pouvaient venir se poser sur sa bouche.
- Pas vraiment, dit-elle.
- Pas vraiment ?
Il secoua la tête, incrédule.
- C'est pas vrai! je rêve!
Un bruit de radio se fit entendre par la vitre ouverte de la Chevrolet. Le chauffeur cria deux mots. Orit se retourna, et " Staline " se redressa.
Tom..., implora Orit en tendant une main.
- En fait, non 1 ricana Tom. Je ne rêve pas du tout! Si j'avais accepté de regarder les choses en face, j'aurais compris depuis hier soir! Bravo!
- Ce n'est pas vrai, Tom...
- Bon! la coupa l'homme à la chemise verte en lançant son mégot dans la poussière. Vous aurez tout le temps de vous expliquer en rentrant à
Jérusalem. Le patron nous attend au King David. Vous passez devant. Et ne vous perdez pas en route, s'il vous plait.
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Arié Doron
Mort5 les joues comme creusées par le poids de sa barbe clairsemée, les paupières bombées et lustrées, pareilles à des coquillages depuis trop longtemps polis, Rab HaÔm semblait encore plus chétif que de son vivant.
Son corps d'oiseau soulevait à peine le drap qui le recouvrait, et ses mains possédaient déjà la transparence des squelettes. L'absence de son regard, plus que tout, me fut le signe de son éloignement, de cet envol vers l'autre temps de la vie, qui n'a de poids et de vérité dans le monde visible que par l'effort de mémoire des vivants que nous sommes.
¿ mon arrivée à l'hôpital, trois jeunes gens m'avaient accueilli et, après avoir vérifié mon identité, accompagné jusqu'à la morgue. Un homme m'y attendait. Les jambes courtes, il semblait exister d'abord par son ventre : une panse énorme, projetée en avant et mal contenue par une chemise au col largement échancré sur une poitrine glabre. Ensuite seulement on accordait quelque attention à son cou de buffle, à ses lèvres minces et à ses iris d'un marron si clair qu'ils semblaient faits de verre. Une cicatrice zigzaguait de sa tempe au gras de sa joue. Le corps, le visage et les stigmates, tout en lui évoquait l'obstination : celle de ces hommes qui, jusqu'au combat ultime, voudront croire toujours que rien n'est de taille à
les arrêter.
Sa voix avait la rugosité des gros fumeurs ou des gens habitués à parler beaucoup et fort. Il s'était présenté d'un nom - Arié
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Doron -, sans autre précision, et m'avait tendu la main comme si, devant le corps de Rab HaÔm, le reste pouvait attendre. Et j'étais bien d'accord.
C'est avec un geste presque tendre, comme décalé du reste de sa personnalité, qu'il avait dévoilé le visage du bouquiniste. Du même geste, il le recouvrait maintenant.
Mon émotion devait être visible. Doron me saisit le coude, non pas pour me conduire ou me contraindre, seulement pour transmettre quelque chose d'un homme à un homme devant le cadavre d'un troisième.
- Venez, me dit-il, nous parlerons dans la voiture.
je ne demandai pas o˘ nous allions, c'était inutile. Un instant plus tard nous nous assîmes à l'arrière d'une Mercedes vieille de dix ans, précédée et suivie d'une autre, filant à toute allure à travers Jérusalem; un luxe de précautions. Doron lut l'étonnement dans mes yeux et m'annonça en souriant à demi :
- Nous allons à qlryat Hamemshala, au qG de la police nationale. je suis le patron de la brigade chargée de la protection du patrimoine archéologique.
J'enregistrai l'information, avec tout ce qu'elle supposait, mais ne pus m'empêcher de demander :
- Et vous vous êtes déplacé pour la mort d'un vieux bouquiniste ?
La panse de Doron tressauta avant même que J 1 entende son mince, amer et bref rire.
- Oui... Et pour d'autres choses, bien s˚r. Peut-être aussi parce que je déteste par-dessus tout qu'on agresse un vieux bonhomme, quel qu'il soit.
Rab HaÔm a traversé tout ce que ce siècle nous a proposé de pire. Pourtant, il n'y avait plus que l'usure du temps qui pouvait le vaincre. Il a fallu que des voyous imbéciles g‚chent la fin de ses jours, c'est irnpardonnable.
- Vous savez que j'étais présent lors de son agression, n'est-ce pas ?
- Oui... Vous avez été
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