Les Mystères de Jérusalem
là
m'interdisant d'en faire autant, bien que l'envie m'en démange‚t. Ce que l'on questionne dans les rêves, c'est moins leur intelligibilité que leurs effets. Nous craignons de les comprendre, parce que nous craignons leur influence. Pour la même raison, nous craignons de ne pas les comprendre. Le Talmud est d'une grande sagesse, il dit que l'effet d'un rêve dépend de son interprétation...
Les yeux du rabbin étincelèrent de cette petite flamme de malice qui br˚lait toujours en lui. je souris, appréciant, comme souvent après ses répliques, ce mélange de paix et d'humour gr‚ce auquel il parvenait à tenir à distance les angoisses superflues.
- Pour ma part, reprit-il, j'ai repensé à notre conversation d'avant-hier et à vos questions sur l'origine de Jérusalem et même sur le nom dejérusalem.... Souvenez-vous de la parole de Dieu s'adressant à Abraham, notre premier Patriarche : R lefit sortir au-dehors et dit : " Contemple vers les cieux et comPte les étoiles si tu peux les comPter. " Et Il lui dit : " Ainsi sera ta semence. "
Le rabbin Steinsaltz citait de mémoire. Il savait que cela lui valait mon admiration et il en jouait avec humour. E poursuivit:
- Le fameux commentateur champenois du Pentateuque, Rachi de Troyes, voilà
mille ans, interpréta ainsi ces paroles :
328
Selon le sens littéral, Dieufit sortirAbraham de sa tentepour qu'il contemple les étoiles, mais, selon la lecture midrachique, Dieu lui dit : Bien que tu aies vu, par les astres, que tu n'auras pas défils, sors donc de ton destin ! Avram n'a pas defils mais Abraham aura un fils. SaraÔ ne Peut enfanter, mais Sarah pourra enfanter. j7e vous donnerat un autre nom et votre destin sera changé... Peut-être cela vous sera-t-il utile de quelque manière? ajouta-t-il avec un sourire énigmatique.
Il eut un bref silence avant de désigner les livres, les parchemins et la rutilante mallette rouge ouverte devant lui.
- Mon opinion est que vous devriez garder ces écrits pour vous. je crois, comme Rab HaÔm, qu'ils vous attendaient.
- J'avais, en fait, pensé à vous les offrir avant mon départ.
- J'apprécie, dit-il en se levant, je crois cependant qu'il est encore trop tôt pour cette décision... Vous m'excuserez de devoir vous quitter? je vais être en retard pour la synagogue. Mais je serais heureux de vous revoir dans les jours qui viennent. N'oubliez pas que je quitte Jérusalem pour les Etats-Unis la semaine prochaine.
Désirant conserver un peu de la sérénité reconquise auprès du rabbin et bien queje fusse assez loin de l'hôtel, je décidai de marcher un moment avant de prendre un taxi. Après tous ces mots, toutes ces questions et cette immersion sans retenue dans le passé, après ces jeux d'incertitude et de menaces auxquels je m'étais soumis depuis quelque temps, j'avais besoin de respirer l'air du printemps, vif ce matin-là. J'avais besoin de voir et d'entendre la Jérusalem quotidienne.
La mallette de cuir rouge se balançant au bout de mon bras, je me dirigeai vers l'avenue King David, me laissant aller au hasard du labyrinthe des cours et des boutiques aux parfums d'épices de Moshavat Haguermanim, le "
quartier allemand ", l'un des plus paisibles de la ville.
Dans les années trente, de nombreuxJuifs d'Europe centrale venus s'installer ici construisirent, aux côtés des maisons arabes aux fines enjolivures, de basses villas de pierre comme on en faisait en Hongrie, en Tchécoslovaquie ou en Allemagne, entourées de petitsiardins frais et recouvertes des célèbres tuiles rouges qui, des siècles plus tôt, avaient fait la renommée et la prospérité
329
des juifs de Champagne. Ces dernières décennies, Moshavat Haguermanim, était devenu par excellence le quartier des laÔques, des intellectuels et des artistes. Désormais, cependant, des écoles rabbiniques s'y ouvraient, et, dans les rues, s'y mêlaient tradition et modernité.
Ce matin, néanmoins, Moshavat Haguermanim me parut presque trop calme. Au bout d'une dizaine de minutes de marche, j'étais sur le point de changer d'avis et de héler un taxi pour rejoindre Ben Yehouda, sa vitalité, son mouvement, ses éternelles rengaines de clarinettes russes, sans compter le fumet ineffable des falafels, lorsque cela se produisit.
J'empruntai la rue Zvi Graetz, en direction de la gare, comptant y trouver un taxi. Depuis un moment, une jeune femme enjean marchait devant moi, poussant un landau, etje la suivais en réglant
Weitere Kostenlose Bücher