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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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étaient bottés de sangsues.
    — Des vorans [136]  ! grommela Joubert.
    — Pourquoi les mettez-vous en cet état ? demanda Tinchebraye dont le cheval semblait éprouver, lui aussi, de la répugnance et de la nervosité.
    — Ce sont des prisonniers du seigneur de la Croixille… Ils se sont mal conduits… Messire Droon les a punis de cinq journées d’étang.
    La main de Blandine serra la dextre d’Ogier et ses petits ongles s’enfoncèrent dans sa paume tandis que sans cesser d’observer Robert et ses complices, il imaginait le regard plein de compassion dont son épouse avait enveloppé les captifs. Jeunes, barbus, échevelés, ils étaient transis de froid, de souffrance et de honte. Las et affamés, ils tenaient péniblement sur leurs jambes grossies des jarrets aux pieds par des vers tellement proches les uns des autres qu’on voyait à peine les coulures du sang dont ils se repaissaient. Sur un geste du Robert, ils les arrachèrent à pleines mains, tirant parfois très fort pour se soulager de l’un d’eux, plus avide que les autres. Deux tonnelets les recevaient.
    — La cueillette est bonne, ce jour d’hui, dit Robert.
    Son rire était aussi visqueux que les bestioles.
    Tourné vers Blandine, puis vers Ogier, les rênes du limonier immobile dans sa senestre, il ajouta :
    — Hier, comme ils s’étaient montrés mauvais, on les a fait entrer là tout nus, et on les a fait tomber…
    Il se délectait. Ogier devina jusqu’où les infernales sangsues pouvaient aller s’agglutiner.
    — Ces hommes sont horribles… murmura Blandine.
    L’archer, un barbu brun, maigre et arrogant, s’ébaudit :
    — Ah ! ouiche, dame : ils sont horribles !… Ils s’étaient enfuis. Droon de la Croixille nous a fait battre de verges… Au sang !… Mais il nous a accordé le droit de nous revancher… Il disait trois jours d’étang ; on en a obtenu cinq !
    D’où venait-il, lui ? Il était vêtu d’un haubergon de haute cloueure [137] , chaussé de houseaux ornés de bossettes de fer et de cuivre. En dansant sur leurs longues pattes, les deux chiens poilus comme des moutons et hauts comme Saladin vinrent flairer les roues du chariot sans manifester, en se coulant parmi les chevaux, le moindre signe d’hostilité, puis s’en retournèrent, la queue basse.
    — Que faire ? murmura Blandine.
    Les prisonniers arrachaient toujours les vers noirs, gonflés comme de petits boudins. Ogier détourna son attention de ces jambes maculées de longs filets vermeils, frémissantes de fatigue et de douleur. Il n’osait aussi dévisager ces victimes silencieuses. L’odeur des boues et des plantes palustres se révélait moins écœurante que la puanteur – vase et sang – exhalée par les malheureux. Les aider ? Certes. Mais comment ? Cinq soudoyers armés, prêts à la bataille, et dont deux, toujours, ne perdaient pas de vue Blandine, et deux chiens aussi, grands et musclés.
    — Saligots ! dit Bazire qui n’en pouvait plus de colère et d’émoi.
    Ces terres, ces herbes et ces arbres gluants d’eau, ces sangsues gorgées de sang, ces hommes – les uns forts, féroces ; les autres faibles et craintifs – plongeaient le gars de Livarot dans un bain d’horreur d’où il enrageait de ne pouvoir s’extraire. Le péager parut insensible à son insulte :
    — On croit que pas un homme consentirait à se mouiller là-dedans deux fois de suite, mais suffit d’ardaier [138] ceux-là un tantinet pour qu’ils soient obéissants. Et puis, je vais vous dire : vaut encore mieux entrer dans cette forcière [139] que de hanter le reclusoir où notre seigneur aime à enferrer et taquiner ceux dont il a déplaisance… Quand ces trois-là voudront enfin qu’on envoie un message à leurs familles afin qu’elles payent rançon, ils seront libres… Mais voilà : ils sont plus têtus que des mulets !… Surtout lui : Yves !
    Ogier lança un regard à l’un des trois otages. Pâle, osseux, tremblant, il devait avoir son âge. Quelques jours de plus dans cette géhenne, et il succomberait. Il se laissa soudain choir à terre et continua de détacher avec une répugnance infinie les bestioles collées à son jarret.
    — T’en peux plus, Yves, à ce que je vois ! ricana Grégoire. Si l’envie te reprend de nous fausser compagnie, on t’amènera là lié fermement, et ce sera la caboche en avant que tu goûteras à la fiente !
    Le captif semblait sourd. Ses yeux mi-clos sous ses

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