Les noces de fer
doit maintenant chevaucher vers Calais, veut vous voir parmi ses capitaines… Il m’a demandé également de requérir un certain Thierry Champartel, chevalier, dont il dit aussi moult bonnes choses…
Le nom de Thierry sentant trop le manant, le messager avait cru bon d’insister sur son appartenance à la Chevalerie. Ogier sourit et vit, sur la table, le parchemin scellé par lequel le souverain lui notifiait sa demande. Inutile de le lire. Quant à son porteur, c’était un homme de trente ans, brun, maussade. L’armure neuve, de fer apparemment très épais, l’épée longue dans un fourreau clouté d’or, les éperons dorés, sans molette mais terminés par un gland qui les rendait indécents, révélaient un caractère hautain, ombrageux, de coureur d’aventures. Il regrettait d’avoir quitté le roi : son vrai domaine, sa passion, c’était la guerre.
— Hé bien, messire, qu’en dites-vous ?
Ogier en chancelait sur ses jarrets. Raymond, lui, s’était appuyé d’un poing sur la table. Ils se remirent d’aplomb en même temps. « Nous devons être aussi pâles l’un que l’autre ! » Ogier, se sentait sans voix. Mais il fit un effort :
— Messire, le roi commande…
Courvaudon eut un rire très supérieur :
— Je conçois que vous soyez tout ébaubi… Le Cotentin, par où je suis passé, semble un pays de paix.
— Il le mérite, dit Godefroy d’Argouges, après tout ce qu’y firent les Goddons !
— Ah ! certes… Mais la guerre est partout, messire baron : au Ponant, au Levant, au Nord, peut-être au Sud… Et entre nous, les grands seigneurs semblent peu enclins à la reprendre… Le roi s’en montre courroucé… Mais il veut battre Édouard ! Il s’en est rendu malade à son départ de Paris… Cela va mieux [269] . Je suppose qu’à présent il est en vue de Calais !
Le messager s’assit. D’un geste, Ogier invita ses trois compagnons à prendre un siège tandis qu’imitant Raymond, il s’appuyait d’un poing sur le bord de la table.
— Vous allez bien boire et manger !… Voulez-vous coucher là cette nuit ?
— Boire et manger, soit, mais maintenant si cela vous agrée.
Puis levant les yeux sur Ogier, après une légère interruption lors de laquelle on sentit que cet homme-là doutait encore d’être en présence du champion de Philippe VI :
— Votre père a fait envoyer un coulon à son gendre… J’espère voir ce Champartel avant mon départ… Je n’ai guère de temps à perdre.
La voix révélait à la fois l’intention d’humilier et le désir de marquer résolument les distances. Un affrontement s’engageait, imprévisible et inutile. Ogier feignit d’ignorer cette sotte envie d’une passe d’armes :
— Mon beau-frère, depuis que mon père est malade, fait visiter quatre fois par jour son colombier… Nous avons chacun quinze oiseaux vifs et bien volants. Il sera là, le temps de couvrir deux lieues.
Courvaudon s’inclina comme un prêtre à confesse. Ou plutôt comme un prélat recevant une confidence légère :
— Que savez-vous des Anglais ?
— Les ayant affrontés à Crécy, je ne les oublie guère et me demandais, avant votre venue, si le roi s’en irait délivrer Calais… Je me réjouis qu’il en ait l’intention… Quant à moi, je voulais ces jours-ci m’en aller en Bretagne afin d’y guerroyer.
— Auprès de Charles de Blois ?
Ogier hocha la tête et ne dit mot. Par ce qu’il avait appris de ce prince lors d’un entretien avec Jacquelin de Kergoet, il le détestait. Comme tous les sodomites. Ses soucis, présentement, étaient ailleurs : « Que va dire Blandine ? » Courvaudon, après avoir digéré sa question sans réponse, croisa les bras et se composa un visage sévère :
— Charles de Blois ne bataillera plus. Il est depuis quelques jours au pouvoir des Anglais… Hé oui !… Il y a eu une grande estoumie à la Roche-Derrien, et cela s’est mal achevé pour les Charlots !
— Est-ce tout frais ? demanda Godefroy d’Argouges. En ce qui nous concerne, nous l’ignorions.
— Si l’on veut, messire, « tout frais », comme vous dites. Le roi Philippe lui-même n’en est peut-être pas encore avisé. À Argentan, nous avons rencontré quatre chevaliers qui s’en allaient l’avertir… Je ne sais où ils le trouveront [270] . Calais ? Avant Calais ?… Cette année, jusqu’à ce jour de juin où je l’ai quitté, ne lui aura apporté qu’une
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