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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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était chevalier, champion du roi de France ; il appartenait davantage à Philippe VI qu’à son épouse, et c’était une constatation lamentable. Ah ! pourquoi fallait-il que depuis les Pâques de Chauvigny son existence se fût allégée de tant d’envols d’espérance pour s’alourdir ensuite, ses vœux d’amour exaucés, de cette foison de déceptions, de regrets, de colères ? Il eût voulu trouver maintenant, au tréfonds de sa personne, sous la lie accumulée au fil des semaines, les mêmes sentiments neufs, simples, passionnés, que lors de leur rencontre, mais Blandine n’y aurait vu qu’un artifice grossier destiné à rendre leur séparation moins sévère.
    « Tant pis pour moi, tant pis pour elle ! »
    Il se trouva stupide de s’être laissé envahir par la maussaderie, le mécontentement, la fureur. Il s’était cru parfois dégoûté du mariage ; or, il avait envie de tout recommencer. Il le lui dirait comme il lui dirait aussi que, persistant dans un désespoir fondé, certes, mais qu’elle eût pu guérir avec plus d’affection, il s’était montré trop fier, cruel même, et qu’il en éprouvait un repentir sincère.
    Il effleura des lèvres le bout des petits doigts aux ongles pointus et soignés qui parfois s’étaient enfoncés dans ses flancs, ses bras, ses cuisses. Naguère, ce simple geste l’eût comblé d’émoi ; il s’étonna d’en ressentir et même de trouver ce trouble plus parfait, car délivré de toute idée de concupiscence.
    — Et tu vas partir…
    Il n’eut pas à répondre, du moins immédiatement, car Bertine apparaissait, tenant les anses d’un plateau chargé de pâtés, suivie de Madeleine, Isaure, Jeannette portant l’une du pain, l’autre des écuelles, l’autre, plié, un tablier aussi blanc que les joues de Blandine.
    — J’ai prié votre sergent, messire, dit la servante, de laisser vos chevaux à nos hommes. Ils s’en occupent… Lui se lave les mains… Approchez-vous… Voici, pour commencer, des confits de porc, chevreuil, lièvre…
    Elle parlait, les poings aux hanches, avec un air de défi qui ressemblait fort à celui de Mathilde, à Rechignac. « Le bon temps », se dit Ogier. Mais de cela, on ne s’apercevait que bien plus tard.
    — N’y va pas, Ogier…
    Blandine avait chuchoté cette prière. Blafarde, elle dévisageait son irascible mari avec une intensité rare, et ses lèvres, ses yeux, le tremblement de son menton reflétaient une affliction, une angoisse, un deuil du cœur auxquels il compatit.
    — Viens, dit-il.
    Il n’avait pas regardé son père, de crainte d’entrevoir dans ses prunelles ou le pli de sa bouche, une satisfaction qui le lui eût rendu odieux. Mais il avait peut-être eu tort : le vieillard connaissait les boucheries humaines.
    — Ces hommes-là, Ogier, c’est l’effoudre [276] qui détruit notre vie.
    — Nous en avons entrepris la destruction nous-mêmes.
    Blandine serrait son bras à la saignée du coude ; de sa senestre, elle soutenait ce ventre qu’il sentait remuer, la nuit, sans même qu’elle s’en doutât, car depuis quelques semaines, elle dormait longtemps, d’un sommeil impénétrable.
    Il la mena, docile, jusqu’au seuil de Gratot, plus sensible que jamais à ce qu’il voyait au-delà des arches de l’entrée : le verdoiement des arbres et des pâturages, la coiffe violacée du clocher, la fine brume des douves de part et d’autre de la chaussée dont les cailloux humides avaient des brillances de mailles.
    — Tu ne peux point partir !
    La fureur, l’anxiété de Blandine ajoutèrent aux regrets d’Ogier une irritation qui ne la concernait point, mais visait à l’absurdité de leurs vies. Dieu avait apparié leurs destinées ; eux-mêmes les avaient désunies ; Dieu les ressoudait ce jour d’hui, le dernier, sans doute, de leur commune existence.
    Insensible aux regards de Gardic, Tinchebraye et Joubert, occupés à fourbir leur harnois de fer, il froissa de son nez les cheveux de son épouse jusqu’à sentir, dessous, l’odorante tiédeur de cette peau de lait.
    Il ne s’étonna pas qu’elle lui offrît ses lèvres : elle voulait oublier, elle aussi, et présentement elle était douce, tendre, tentatrice – oui, malgré ce ventre lourd du fruit d’une de leurs rares ardeurs, riche de leur enfant, un gars peut-être. Miraculeuse Blandine : il la retrouvait presque ainsi qu’à Chauvigny lorsque son cœur battait plus fort du seul fait

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