Les noces de fer
joie qui dut fort contrister Édouard…
— Messire, dit Raymond, voilà bien des paroles énigmatiques !
Courvaudon se pencha. Ses yeux eurent une luisance crue sinon cruelle. Se faisant plus courtois qu’il en avait envie, Ogier demanda :
— Dites-nous-en davantage, messire.
— Je ne vous dirai que l’essentiel… Or donc, Édouard voulait marier sa fille aînée, Isabelle, au comte de Flandre, Louis II de Male dont le père fut occis à Crécy, et qui vient d’avoir quinze ans, afin de tenir les communautés de Flandre en amitié…
— Ce que je sais, dit Ogier, c’est qu’il y a cinq ans, le défunt Louis I er était retourné en Flandre. Ensuite, craignant pour sa vie, il était revenu en France [271] … Ces gens de Flandre sont changeants… Et si Louis fut occis à Crécy, l’autre Flandre, Henri, peu avant cette bataille, avait assailli l’Artois et voulu prendre Béthune [272] !
— J’étais à Béthune, dit Courvaudon, avec Godefroy de Charny, Eustache de Ribaumont, Baudouin Dennekin, Jean de Landas… Ah ! certes, nous avons moins subi de pertes que vous autres à Crécy, mais Oudart de Renti, que Philippe avait banni de France, menait le siège, et il nous angoissa fort… Le roi, à ce qu’on dit, vient de lui pardonner.
Ogier frémissait : il entendait parler de guerre et il en était presque heureux. Là au moins, en armure et l’arme au poing, on n’avait qu’une seule pensée : vivre.
— Revenez à ce mariage, demanda Godefroy d’Argouges à Courvaudon… J’ai fait la guerre en Flandre… Il y a sept ans, il avait déjà été convenu que Louis II épouserait la fille du duc de Brabant, et Philippe, notre sire, était très favorable à ce mariage…
— Il l’est toujours… Mais sachez que sitôt qu’il fût de retour en son fief, les Flamands, pour complaire à Édouard, mirent le jeune Louis en prison…
— En prison !
— Prison courtoise, mais avec vingt gardes tout autour… Or, plus on pressait Louis d’épouser Isabelle, plus il pensait à Marguerite de Brabant, et plus les Flamands le trouvaient trop Français et mal conseillé… Sentant, depuis la Noël dernière, un fort danger à persister dans son refus, Louis dit qu’il acceptait mais tenait, pour récompense, qu’on lui permît de chasser en rivière… Les Flamands, réjouis, envoyèrent un message à Édouard et à son épouse, qui séjournaient à Calais, et leur demandèrent d’amener leur fille entre Neu-Port et Gravelines, en l’abbaye de Saint-Winox, à Bergues… Le mariage pourrait être célébré les premiers jours de mars… Le roi et la reine vinrent dès qu’ils eurent reçu les lettres par lesquelles Louis approuvait les conventions stipulées par Édouard. Tout fût prévu pour la cérémonie et l’on se retira contents : le roi et son épouse à Calais, Louis en sa geôle…
— Certains mariages forcés, dit Godefroy d’Argouges, sont parfois meilleurs que d’aucuns accomplis dans la joie.
D’un regard sec, Ogier se contenta de défier son père. « Qu’adviendra-t-il de Blandine quand je serai au loin ? » Mais était-ce maintenant seulement que cette idée devait l’incommoder ? Il avait disposé de longs mois – presque un an – pour se préparer et la préparer à une séparation de cette espèce.
— Or donc, continuait Courvaudon, Louis put chasser au bord des rives avec deux compagnons : Roland de Poukes et Louis Van de Wale. Un matin, ils partirent avec leurs fauconniers et les vingt gardes… Comme un héron venait à passer, ils lancèrent les faucons et galopèrent à leur suite en criant : « Hoie ! Hoie ! » tout en abrochant fort leurs chevaux… Et Louis fit tant et si bien que les gardes ne purent le rejoindre… C’est ainsi qu’il atteignit l’Artois où j’étais. De là je le conduisis à Paris…
— Quand cela s’est-il passé ? interrogea Raymond.
— Le 5 des calendes d’avril [273] .
— Édouard s’est-il vengé ?
— Comment l’aurait-il pu ?… On dit que son courroux cessa quand il vit paraître le neveu de feu Robert d’Artois, Robert de Namur, de retour d’un séjour en Prusse et au Saint-Sépulcre.
Courvaudon se tourna vers ses compagnons, soit pour les prendre à témoin de l’ignorance de leurs hôtes, soit pour leur demander, d’un regard, s’il n’oubliait rien. Le plus âgé des trois ôta sa cervelière, aplatit d’une main ses cheveux en javelle, et
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