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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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l’eût fait. Blandine les écoutait sans vouloir le laisser paraître, sans qu’on pût deviner le moindre de ses sentiments. Feinte ou vraie, cette impassibilité qui les insultait sans qu’ils s’en doutassent semblait son suprême asile. C’était elle qui décidait ou non d’en sortir ; elle et personne d’autre. Pas même lui, son époux devant Dieu et les hommes. Vraie ou fausse, profonde ou non, il était désarmé devant tant d’insouciance.
    — Qui loge en ce grand tref surmonté d’une croix ? demanda Raymond, l’index tendu vers une tente située à l’écart des autres. Je vois cinq ou six clercs à l’entour.
    — Les légats du Pape, sûrement, dit Ogier. Ils ne cessent de s’entremettre pour que la paix règne entre les deux rois, mais je crains qu’ils n’enveniment plutôt leurs désaccords [301] .
    Tout en se reprochant de retomber dans sa mélancolie, il accepta sans plaisir la tranche de bacon et le morceau de pain que lui offrait son beau-frère.
    — Demain, Ogier, il nous faudra manger chaud.
    — Tu y veilleras.
    Une fois rassasiés, ils dormirent à l’ombre. Peu avant la remontée [302] , ils revêtirent leur armure afin de se présenter au roi.
    — Mais nous irons à pied, décida Ogier. Il nous faut ménager nos chevaux. Jaucourt, Thierry, portera ta bannière. Joubert, tu t’assureras de la mienne. Raymond et Tinchebraye nous suivront… Nous traverserons la cité.
     
    *
     
    Hesdin semblait avoir été déclaré interdit à la piétaille. Jamais, sans doute, les échoppes et les tavernes n’avaient accueilli tant de chalands vêtus comme des princes. Joubert, Jaucourt, Raymond et Tinchebraye saluèrent des manants qui, assis sur leur seuil, attendaient la soupe, et dont la réserve pouvait faire écran à une aversion justifiée. Après des jours de chevauchée et des nuits passées sur la paille ou dans l’herbe, les quatre compagnons devaient imaginer l’intérieur de ces maisons et maisonnettes : les bahuts odorants, la table et les écuelles, les pichets de vin ; le pain cuit avec amour, la cheminée aux cendres rougeoyantes, et toutes proches, les bûches qui, sitôt en travers des landiers, craqueraient comme des cliquettes. Ils imaginaient aussi, sans doute, la chambre au lit clos ou non dont on allumerait bientôt le chaleil pour chasser les démons tout en attirant les moustiques. En chemin, ils n’avaient guère pensé à ces vies immobiles, douillettes au moins le printemps et l’été, au lieu qu’ici, près de ces hommes dispensés de la guerre, de ces femmes entraperçues à leur fenêtre et de ces enfants jouant avec des épées de bois, ils découvraient, tout comme à Gratot, les bienfaits d’appartenir au commun. Et les odeurs de mangeaille, en flattant leurs narines, les enchantaient et courrouçaient, puisqu’ils souperaient froid.
    Ils traversèrent le logement [303] réservé à la noblesse. Le marteau qui ornait la bannière de Champartel provoqua quelques sourires et même une saillie proférée hautement :
    — Voilà que nous avons une hanse [304] avec nous !
    Parmi tous ces hommes qui les observaient, ni Thierry ni Ogier ne purent savoir qui avait lancé cette sorne. Tinchebraye fit entendre son grand rire d’homme sans souci ni gêne :
    — Ce marmouset semble avoir peu de cœur et pas de courage !… Le contraire de vous, messire Thierry.
    — Je reconnaîtrai sa voix, dit Ogier. Mais pour nous mépriser ainsi, sans savoir qui nous sommes, il faut qu’il ait l’âme crasse… aussi crasse que le potron de sa mère.
    Il y eut des murmures sans que la provocation suscitât le courroux du perfide.
    Ils trouvèrent le roi devant son pavillon d’azur fleurdelisé. Debout, les mains à plat sur ses reins – signe qu’il avait chevauché longuement –, Philippe VI était vêtu en chasseur : une chemise dont seul le col dépassait d’un pourpoint fourré de gris, une housse courte, serrée par une ceinture de cuir d’Irlande à laquelle était suspendu, dans sa gaine de corne à viroles d’or, le long couteau pour affronter le sanglier : le quenivet. Aux talons de ses bottes tintaient des éperons à molettes de fer, et à son cou pendait un petit cornet d’ivoire dont il tordait et détordait l’enguichure de fils d’or tressés.
    — Argouges !… Je viens de revenir de chasse avec mes gens, et l’Henri est accouru pour m’annoncer votre venue !… Courvaudon m’avait dit : « Il viendra, il

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