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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’étaient serrées. Il les agitait devant sa poitrine, et ce geste révélait du courroux, de l’impuissance, voire un désespoir cuisant.
    — Femelle ! murmura-t-il. Ah ! là là…
    Il prit le parchemin avec un évident dégoût et tressaillit quand le chevaucheur lui en tendit un second :
    — Pour votre fils le duc Jean, sire, de la part de la roine [312] .
    Le roi eut un sursaut :
    — Pour Jean !… Elle se remet à se plaindre à mon fils !
    Il avait descellé son billet. Il le lut. Quelques lignes qui le firent cligner et bredouiller : « Non ! Non ! » comme s’il avait, menaçante, son exigeante femme devant lui. Puis il fourra le parchemin dans le col de son pourpoint. Un moment, regardant le message destiné à son fils aîné, il fut tenté d’en briser la cire ; il se reprit, plaça le bref [313] au même endroit que l’autre, fit signe au messager de s’éloigner et à l’Henri de regagner la tente :
    — Continue de fourbir mon armure… Quant à vous deux…
    Il considéra Ogier, puis Thierry d’un regard doux et comme apitoyé :
    — Je vous disais que j’ai bonne chevalerie et que nous pouvons vaincre…
    Il ne prétendait plus «  nous vaincrons  », comme à Crécy, mais «  nous pouvons vaincre  » et cette restriction révélait, en dépit de la grande armée qui l’entourait, une disposition d’esprit nouvelle, une défaillance de l’orgueil, un doute énorme, prodigieux même, chez cet homme dont l’absolue confiance en lui-même avait fait des milliers de morts : cent mille, disait-on, depuis son couronnement. La supériorité de son cousin d’Angleterre l’avait bien ébahi. À la stupéfaction avaient succédé l’indignation et les intentions de revanche – cela, c’était au soir de Crécy. Maintenant, si sa malefaim de gloire – donc de victoire – demeurait la même, il se découvrait un appétit d’oiseau ; pis encore : d’oiseau plumé de la tête à la queue. Les Calaisiens pouvaient mourir de faim, Édouard III, ses maréchaux et jusqu’à leurs archers faisaient bombance jusqu’au pied de leurs défenses. Quelle vexation lui préparait le prétendant au trône de France ? Allait-il, lui, Philippe, le dominer cette fois ? Parviendrait-il à expurger de son royaume, en commençant par Calais, ce fléau qui hantait, la nuit, ses rêves, et le jour ses pensées ? Lorsque les Flandres relâchaient leur pression au nord, la Bretagne prenait feu ; si la vie venait à s’y apaiser, le Poitou souffrait à son tour ou bien les seigneuries du Périgord, proches des marches de Guyenne. Il s’était bien battu, lui, Philippe, à Crécy : trois blessures, et comme tout guerrier, il avait moins souffert de ces plaies à la chair que des navrures faites à sa fierté d’homme.
    « Qu’il soit niais », songea Ogier, « n’empêche pas qu’il soit hardi ! »
    Mais Édouard III possédait tout autant de courage ; de plus, bien fourni en intelligence, il savait mener son ost.
    — Oui, nous pouvons vaincre, Argouges !… Soyez-en assurés, vous, vous, vous et vous !
    S’il avait levé le menton vers Thierry, le roi venait de désigner du doigt Jaucourt, Tinchebraye, Raymond et Joubert, tous immobiles, respectueux – et indécis. Ogier estima qu’il pouvait prendre congé. Il en fut empêché par deux hommes jeunes, vêtus de velours bleu aux fleurs de lis, les jambes prises dans des chausses dont l’une était rouge, l’autre bleue, et les pieds enfermés dans des poulaines de cuir vermeil – on eût dit qu’ils avaient pataugé dans du sang. Ils portaient l’un et l’autre des épaulières de soie blanche, tressées, auxquelles pendaient des grelots d’or, et leur pourpoint serré était taillé si court qu’on voyait leur nombril juste sous leur ceinture. Le grand feston de leurs manches à barbe d’écrevisse touchait terre. On eût dit des bateleurs.
    — Ah ! mes fils, s’écria Philippe. Vous avez vu passer Ancelin ?
    — Oui… Comme il menait son cheval à l’abreuvoir, il m’a dit que Mère lui a remis une lettre pour moi…
    — Et pas pour moi ? demanda le fils puîné, Philippe. Je n’ai rien lu de Blanche [314] depuis une semaine !
    Jean considéra son frère assez dédaigneusement tandis qu’Ogier se disait qu’il voyait enfin le véritable maître de la Normandie. Devant cet homme-là, funeste guerrier tout autant que le roi, et de mœurs détestables, comment se serait-il senti à

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