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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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s’inclina, les hommes également ; ils allaient partir, assez contrits et courroucés, quand le monarque appela :
    — Argouges !
    Ogier se retourna :
    — Sire ?
    Se refusant à voir Charny, il enfermait Philippe VI dans son regard et retrouvait comme à son arrivée, un suzerain usé, à l’œil tout aussi indécis que la bouche, mais qui se rengorgeait tout à coup :
    — Ne quittez pas Hesdin… Nous partirons demain ou après-demain et je vous veux à mon côté.
    D’une dextre pesante, il rompit l’entretien. Et dès qu’ils eurent fait dix ou douze pas, Tinchebraye grommela :
    — Ce Charny, je le mettrais au charnier !
    Joubert rit ; il fut le seul. La cubitière de Thierry toucha celle de son beau-frère.
    — Tu t’es fait un ennemi.
    — Sans doute… Il se prend pour un aigle et n’est qu’un alérion [323]  ! Je suis Ogier d’Argouges. Ma famille a trop souffert de l’infamie des gens – chevaliers et manants – pour que je souffre, moi, la moindre moleste.
    Sa tête le brûlait. Il avait le cœur lourd et du fiel sur les lèvres. « Mal d’amour ! » C’était vrai. Mal de Blandine. Mal de la séparation. Mal du mariage. Mal de tout. S’il avait pu recommencer sa vie à partir du moment de leur rencontre, il serait certes allé à Poitiers ; il l’aurait épousée à condition qu’elle y eût consenti après qu’il lui eût dit : «  Voilà comment je suis et quelle sera notre vie. » Mal d’amour ! Ah ! là là. Charny avait montré une subtilité diabolique en le disant atteint de ce mal-là, et c’était de cela, surtout, qu’il lui tenait rigueur.
    — Ça commence bien !… Mais que pouvais-je faire d’autre ?
    D’une voix âpre et malade elle-même, issue des profondeurs de son amertume, il ne pouvait qu’interroger Thierry, le seul parmi les autres qui connût bien sa vie. Le seul qui se fût douté, depuis longtemps, qu’entre Blandine et lui tout périclitait.
    — Tu t’es emporté, Ogier, mais j’en aurais fait autant à ta place. Oublie…
    — Tu sais que je n’oublie rien… Et Charny est bien de mon espèce !
    — Il nous laissait penser, dit Joubert en changeant la bannière d’épaule, qu’il est heureux en amour… Or, si ça se trouve, il est plus branchu qu’un cerf de dix cors… Ne dit-on pas : Cocu et content ?
    Ogier sourit ; les autres, surtout Raymond, s’ébaudirent. Thierry, sûr de ses amours avec Aude, dit qu’il n’était plus temps de penser aux femmes.
    — Ça amollit…
    — Pas quand elles sont nues ! dit Tinchebraye. Tiens, la Berthe, la fille du fournier de Coutances… Vous la connaissez… Elle est fessue comme…
    — Elle a les nasches [324] en goutte d’huile, dit Raymond, dédaigneux.
    — Sans doute, sans doute, mais c’est de l’huile bouillante, crois-moi !
    Thierry interrompit cette gaieté qu’il eût partagée naguère.
    — Vous feriez mieux de penser à Calais… Ça va saigner…
    Sans doute construisait-il en imagination ces murailles de bois derrière lesquelles Édouard, ses hommes d’armes et ses manants vivaient une vie aisée, tandis que dans la vraie cité ce n’étaient que cris d’angoisse et gémissements de mort par la faim : le trépas le plus long, certainement le plus horrible.
    Ogier se coucha dans l’herbe aussitôt avalé le repas du soir. Il était las, pourtant il dormit mal. La malsaine confrontation de ses espérances et des courroux, déceptions et rancœurs assenés comme une punition céleste recommença, tissant un demi-rêve où Blandine apparaissait parfois, virginale et douce. La beauté même. Mais il était désormais dégrisé par cette magnificence charnelle. Il s’était bercé d’illusions. « Je n’ai pas su la mériter ! » Il devait reconnaître le bien-fondé de certaines mélancolies de son épouse. Gratot, même restauré, conservait dans ses pierres la tristesse des jours d’opprobre. Telle une eau noire, cette détresse rejaillissait plus ou moins fort sur les êtres qui vivaient là. Lui-même n’était pas un gars joyeux, insouciant. «  Tu sais bien mieux t’y prendre avec une épée qu’avec ta femme ! » Sur cette pensée, son mal de tête empira ; il allait se lever pour errer dans le camp lorsqu’une sonnerie le dressa, frissonnant, dans la nuit grise.
    — À l’arme ! À l’arme !… Tous debout !… Nous partons ! hurla quelque part un héraut.
    Un grand vacarme se répandit aussitôt

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