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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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nous en avez fourni l’occasion… Les Berland sont-ils toujours en leur hôtel des halles ?… Comment vont-ils ?
    Deux jeunes manants passaient. Rochechouart les arrêta d’un geste. Ils l’aidèrent à mettre pied à terre. Il remit son bassinet au plus jeune et tendit à l’autre les rênes de son cheval.
    — Messire Berland était des nôtres avec son fils.
    — Son fils ?
    — Vous voilà ébahi, messire !
    Le regard de Rochechouart – un regard fixe et lourd aux lueurs d’eau profonde – cilla devant celui de ce rival que peut-être il avait cru disparu à jamais.
    — Hé oui : son fils… Blandine ne vous avait point parlé de ce frère ?… Vous vous êtes si peu vus, il est vrai, que le loisir lui en aura manqué… D’ailleurs, je me demande encore comment vous avez pu… comment dire ?
    — La conquérir ?
    — En vérité !
    — Messire, il est parfois des conquêtes aisées. Étant homme de guerre, vous devriez le savoir !
    Bon, il s’était ressaisi, et comme il en était tout proche, il regarda le miroutte [37] épuisé dont la bave séchait sur le mors et les lèvres. Un bon cheval de bataille. Rochechouart l’avait fait essoriller afin qu’il fût armé pour la guerre. De fait, il portait un chanfrein d’acier et entre ses oreilles mutilées une sorte de coiffe d’où sortait une poignée de plumes de faisan.
    — Étant guerrier comme vous, Fenouillet…
    — Argouges, messire.
    — Je sais que la victoire échappe, parfois, au plus méritant.
    À quoi bon s’offenser. Cédant le passage à un blessé que des hommes emportaient sur une claie, Ogier se rencogna sous un auvent. En deux pas vifs malgré son harnois et sa fatigue, Rochechouart fut devant lui, visiblement agacé par toutes les faces blêmes, gluantes de sueur et de sang, qui les cernaient soudain.
    — Hé oui, dit-il, le souffle brouillé de rage, Berland a également un fils… Il porte son nom : Herbert… Ils galopaient autour de moi, et puis plus rien… Je ne sais s’ils sont morts ou vivants.
    « Pourquoi ne m’a-t-elle pas parlé de ce frère ? Il a l’âge de se battre, il a donc celui de jouter… Pourquoi n’était-il pas sur le champ clos de Chauvigny ? »
    Il y avait eu des murmures dans la foule, sans qu’il parût que les manants fussent marris à l’idée de cette double perte : Berland était un seigneur orgueilleux, son fils devait lui ressembler ; seuls quelques chevaliers à la semblance de Rochechouart pouvaient les avoir en estime.
    — Dieu les protégera car ils ont fait pour Lui moult bonnes choses… Êtes-vous venu pour Blandine ?
    Sur le peu de visage d’un gris d’étain apparent dans l’obscurité tavelée de lueurs mouvantes, les traits creusés de Rochechouart s’étaient subitement durcis ; cependant, le regard avait cessé d’être hautain pour devenir celui d’un homme aux abois.
    — Je suis venu pour elle et je la veux sauver.
    Ogier percevait d’autant mieux, chez ce chevalier, les affres d’une passion vouée à la désespérance, qu’il les endurait parfois, surtout la nuit quand, dispersant d’autres fantômes, la pucelle s’insinuait dans son sommeil. C’était alors, chauffé aux braises d’un délire coupé de réveils fiévreux, un enchevêtrement d’aventures aussi fécondes en ravissements qu’en angoisses au long desquelles, sur les débris d’un passé maussade, il s’évertuait à bâtir un avenir sans certitudes ni fondements solides. Ses ambitions pourtant sages s’amenuisaient ; les semaines, les mois et les années à naître prenaient des couleurs funèbres et Blandine, souvent, se dérobant à son étreinte, disparaissait dans des horizons de granit. Ce besoin effréné de la présence aimée dont les appels, les postulations, les nudités imaginées, les refus et consentements exaspéraient sa mémoire et sa concupiscence, il n’en guérissait jamais qu’incomplètement : si, au petit matin, son esprit recouvrait son aplomb, sa confiance et sa sérénité, son cœur demeurait douloureux.
    — Blandine m’a donné sa foi. Le saviez-vous ?
    Il y eut tout ensemble, sur la face de Rochechouart, de l’aversion et de la crainte. « Il sait que les Goddons entreront, mais il préférerait qu’elle demeure en ville plutôt que de la savoir en sécurité avec moi… si toutefois nous pouvons fuir ! » Alors, avec une compassion sincère :
    — Je suis sûr qu’elle m’attend… Qu’elle n’a jamais

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