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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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de Tinchebaye et la mienne !
    Ogier partit sans se retourner.
    Ceux de Tournai semblaient l’attendre.
    — Qui vous a dit que je viendrais vous commander ?
    — Le porte-oriflamme, messire, dit un borgne, la main tendue.
    « Ce gars-là va se défier de moi », se dit Ogier. « L’odieux Charny a dû lui dire que j’étais chevalier de petite naissance. S’il savait combien son opinion pèse peu, maintenant ! »
    Il pressa la dextre du borgne dans la sienne.
    — Ogier d’Argouges.
    — Le Borgne de Bapaume, messire… Je commande… Hé oui !… Ce devrait être Godemar du Fay, allez-vous penser… Or, il est malade…
    — Depuis la Blanche-Tache ?
    Le Borgne rit sans bruit. Il lui manquait trois dents : deux en haut, une en bas. Pour être moins laid, sans doute, il s’était fait coudre les paupières sur son orbite vide. Son œil vivant, bleu clair, avait l’éclat de la mer sous les feux du soleil où le couchant jetait sa pourpre. Il était coiffé d’un cappelet ramassé sans doute au cours d’une bataille, couvert d’un hoqueton passé sur une chemise de mailles ; les jambes, elles aussi, protégées d’anneaux, renforcés aux genoux par des coques de fer façonnées de sa main, sans doute. Les lanières de ses sandales étaient couvertes de clous de cuivre.
    — Hé oui, messire ! Notre bon Godemar ne se remet pas de sa défaite.
    — Et de sa fuite alors que s’engageait la bataille.
    — Vous y étiez ?
    — Oui… Et toi ?
    — Moi aussi… On prétend que le Godemar est malade… Malade de vergogne… En tout cas, il n’est pas avec nous… Ni Girard de Montfaucon qui servait sous sa bannière… Mais ne vous mettez pas martel en tête : j’ai là de bons capitaines… Hé, les gars, approchez !
    Une demi-douzaine d’hommes quittèrent la masse des guerriers toujours immobiles. Ils étaient vêtus de fer : gambisons, vieux hauberts raccourcis aux genoux, cottes treillisées ; tous avaient leurs pieds et jarrets protégés par de grosses heuses. « Me voilà loin, bien qu’ils soient tout proches, de la frisqueté [364] des Grands du royaume ! » Dans l’ombre de la barbute ou du chapel de Montauban, les manants souriaient, sans orgueil ni malice.
    — Voici Ogier d’Argouges, compagnons… Il doit nous commander pour que nous fassions nôtre cette tour, là-bas, avant la nuit… Et voilà, messire, mes fidèles compagnons : Perrinet Domat, Hannequin Ratbold, Liébrand Le Doulx, Yvon Marie, Gilles de Trassignies, Robert DeConinck… Et lui, qui c’est ?
    Tinchebraye s’était approché, balançant sa lourde carcasse, les mains enfoncées entre son jaque de velours élimé passé par-dessus ses mailles et sa ceinture d’armes. Sa force paisible, sa débonnaireté d’homme des champs plurent au Borgne : son œil cilla davantage ; sa bouche crénelée eut un frémissement.
    — Qui c’est, messire ?
    — Le meilleur de mes soudoyers… qui sont tous bons, mais que je laisse à mon beau-frère… sauf lui, Tinchebraye, et mon pennoncier.
    Il observait ces hommes et les trouvait avenants, bien qu’ils eussent des yeux et des bouches de fauves. En alliant les siens à leurs quinze cents compagnons, ils eussent pu former une bonne compagnie de routiers pour vivre à la façon d’Arnaud de Cervole qui, tout dévoué au roi qu’il se prétendît, ne se montrait pas dans son ost. Alors, où était-il ? En Pierregord ? En Langue d’Oc ?
    — Vous pourriez tous, capitaines du Tournaisis, être mes pères… Que je sois chevalier à un si jeune âge… et que je vous commande doit vous embarrasser, vous indigner peut-être… J’aurai vingt ans dans un mois, le vingt-deux…
    Le Borgne eut un mouvement des deux mains, qu’il avait grosses et dépourvues de mailles. Dans son œil dansait une lueur pareille à une larme, et sa bouche ébréchée semblait retenir un fou rire :
    — Messire, la vie est comme un escalier dont le roi serait au sommet : il vous commande, vous nous commandez, nous commandons à nos piétons… qui chez eux commandent à leur femme, leurs enfançons ou enfants, et à leur chien… C’est ce qu’on nomme d’un mot nouveau : la hiérarchie… Et nous obéirons parce que nous sommes patriotes [365] , un mot nouveau, lui aussi, qu’on emploie, chez nous, dans les moutiers plus que dans les boucheries et, faut bien l’avouer, les tavernes !
    Tinchebraye siffla :
    — Tu m’en diras tant !… Et parce que

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