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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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j’en avais laissé passer quelques-uns… Pourquoi pas d’autres ? Plus le temps coulerait, mieux je serais quiet pour accomplir ma mission…
    L’indignation d’Ogier s’aggravait. Il observait le vieillard avec une attention accrue, et sa tranquillité lui était une injure. Oui, c’était cela qu’il avait en horreur : cette faconde sinon, maintenant, cette plaisance à conter la chose la plus importante qui se fût produite sur terre depuis le crucifiement du Christ !
    — Jamais je ne l’aurais abandonnée !
    Le vieillard eut un bref mouvement des épaules et poursuivit :
    — Je voulais revenir à Chypre… Les écus gagnés à tailler la pierre me permirent d’atteindre Marseille où j’embarquai sur une nef génoise en partance pour l’île…
    — Pourquoi partir ? interrogea Ogier. Vous pouviez vivre heureux, honoré même, dans un royaume en paix !
    — Un royaume honni qui puait toujours l’odeur des bûchers élevés pour mes frères ! Un royaume que le tyran Philippe voulut grand mais que Dieu réduisit à rien en exerçant une juste vengeance sur ses hoirs [101] mâles, et que gouverne désormais un neveu dont la seule gloire est d’être la risée du monde… surtout de l’Angleterre !
    Le vieillard croisa les bras et observa de nouveau les buissons, droit devant, et au-delà, une motte sans arbre où montait un sentier. Un cavalier y passait au galop.
    — Un chevaucheur… Il nous faut partir bientôt…
    — Croyez-vous que ces Teutoniques…
    — Ils nous ont suivis.
    — Mais pourquoi, messire ? Pourquoi ?
    — Tu le sauras… Permets-moi de te ramener sur cette nef où je voguais vers Chypre… Et sache qu’au Temple, souvent, j’avais dispensé des soins à mes frères et aux mal heureux. J’avais appris moult choses des guérisseurs de l’Ordre : la plupart avaient récolté le meilleur de leur pratique des médecins juifs et sarrasins et me l’avaient enseigné… Mais mon savoir était encore étroit… Or donc, quand la nef jeta l’ancre à Naples, un matin, j’en descendis. J’avais envie d’errer dans la cité pour revenir à bord au moment où l’on hisserait les voiles… Il en alla différemment : sur le quai gisait le marinier d’une nef barcelonaise, entouré de ses compagnons. Il venait de tomber d’un mât au cours d’une manœuvre et souffrait d’une fracture au bras et à la hanche… Je proposai mes soins afin qu’il fût transporté, sans trop de dommage, en un lieu sûr. Un passant s’arrêta et me vit procéder. Il m’aida et quand l’homme eut été emmené sur un chariot, nous parlâmes… Il enseignait à Salerne : je l’y suivis…
    — Et la Croix, messire !
    L’attente d’Ogier s’exaspérait. La violence que Benoît Sirvin, sans doute à son insu, versait désormais dans son cœur et ses membres, n’était pas uniquement la conséquence d’un trop-plein de paroles sacrilèges et de silences faussement inopinés à propos du Saint-Bois. Il fallait qu’ils partissent de Montgaugier, il fallait qu’il revît Blandine. Il ne l’avait que trop abandonnée !
    — Seriez-vous le diable, messire, que vous vous y prendriez ainsi pour éprouver ma foi… Parlez-moi de la Croix… Vous l’avez en détestation, j’ai pour elle une révérence infinie !
    Le mire s’ébaudit de bon cœur :
    — C’est ce que j’ai dit à Regnault Bertrand, dans cette commanderie, avant d’être reçu dans l’Ordre, quand il me demanda de cracher sur un crucifix…
    — Jamais je ne ferai cela ; je préférerais mourir !
    — N’aie crainte : je ne te prierai pas de cracher sur la Croix, de renier Jésus trois fois, de le considérer comme un faux prophète qui n’a souffert que pour ses excès en toute chose… Ce Zélote a fomenté des troubles, commandé une petite armée…
    — Messire… Par ma foi en Jésus de Nazareth…
    Ogier, debout, portait la main à son épée. Benoît Sirvin darda sur lui un regard tellement dur et appuyé qu’il lâcha la prise de son arme ; et le vieillard rit un peu, sans la moindre bienveillance :
    — Je ne tiens nullement à faire de toi un hérétique. Je suis cependant sûr qu’un Roncelin [102] qui imposa le reniement de Jésus à l’Ordre tout entier t’aurait convaincu de la pertinence de cet usage, car sache-le une fois pour toutes : Jésus n’est pas né à Nazareth. Cette cité ne figure sur aucun texte ancien et ne fut bâtie qu’au VIII e  siècle pour

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