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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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que si vos ancêtres avaient eu quelque vaillance, le sort de cette bataille eût été différent… Et cette chose que vous convoitez indûment, et que vous allez me prendre, serait demeurée en place !
    Cottbus, Welf et Prenzlau demeurant bouche bée, Ogier, n’en pouvant plus, passa à la menace :
    — Emparez-vous de ce qui n’appartient qu’à Dieu, mais craignez de subir Sa justice !
    Prenzlau leva son épée ; Blandine se jeta dans les bras d’Ogier. Cottbus, de son arme, repoussa celle de son compagnon.
    — Vous nous faites perdre notre temps !… Descendez, vous, la femme !
    D’un bond, Ogier sauta sur le chemin, contourna la charrette par l’arrière, lança à Lehubie, Gardic et Delaunay un regard leur enjoignant la patience, puis tendit ses bras à Blandine :
    — N’aie crainte… Je suis contraint d’abandonner ce chariot…
    Il était furieux et désolé. « Les démons ! » Cette malfaisante rencontre lui laisserait pour toujours un souvenir épouvantable. « J’ai failli à ma promesse, mais aurais-je pris un tout autre chemin que j’aurais trouvé ces malandrins devant moi !… Ils vont me priver du bien le plus précieux qu’un homme ait jamais reçu en dépôt ! » Il en suffoquait et ses mains inutiles lui faisaient aussi mal que si, soudain, elles eussent été trouées d’un clou. Comme il cessait de regarder Blandine, il aperçut un charreton sous les arbres. Il devait être plein d’armes et de victuailles.
    Cottbus remit son épée au fourreau puis, hochant sa tête enfermée dans un camail de grosses mailles :
    — Vous avez bien fait d’obéir… C’eût été trépasser trop jeune…
    D’un coup de lame, Prenzlau fendit le prélart de la charrette et de la pointe éloigna les bissacs, les armes – arcs et guisarmes –, les couvertures posées sur les dernières balles de foin. Un peu du Saint-Bois apparut.
    — Bien… Votre épouse et vos hommes, messire Argouges, savent-ils ce que vous avez transporté jusqu’en ce lieu ?
    — Non.
    — Leur auriez-vous dit la vérité qu’ils ne vous auraient pas cru.
    — Vos écuyers et soudoyers habillés en hurons ne savent rien, j’imagine, de ce que vous allez me rober [128]  ?
    La lumière atténuée, verdie par les herbes et tout ce qu’exsudait la forêt à l’entour, mit dans les yeux et la bouche rieuse de Prenzlau une espèce de pourriture. Ogier crut comprendre que cet homme allait mourir. En fait, il venait d’entamer son trépas.
    — Il est vrai que seul Cottbus, messire Welf et moi savons… Mais nos compagnons saurons aussi, le temps venu, quand notre Grand Maître décidera… Allons, messire Argouges, assez parlé : nous pourrions profiter de votre charreton et de son cheval… Nous pourrions même prendre tous vos chevaux, toutes vos armes… après vous avoir occis… Mais à quoi bon répandre votre sang un si beau jour !… Vous allez nous laisser votre charreton attelé, le temps de revenir trois cents toises en arrière… Heinrich, mon écuyer, soufflera dans sa trompe quand nous aurons pris ce que vous savez… Vous pourrez alors reparaître en ce lieu, recouvrer votre charroi et reprendre votre cheminement.
    Ogier se tourna vers ses hommes assemblés autour de Blandine :
    — Obéissons… Nous ne pouvons rien…
    — Ça c’est vrai ! dit Tinchebraye en imposant une ébriade à son roncin.
    Ogier saisit Marchegai au frein et le mena, tenant Blandine par l’épaule. Joubert, Lehubie et Bazire les devancèrent ; Gardic grommela, au passage :
    — Messire Ogier, quoi que c’était, faut bien le leur laisser…
    — Quinze gars nous suivent, dit Delaunay, sagettes et carreaux encochés à la corde !
    — Qui sont ces hommes ? demanda Blandine.
    Elle refusait d’avouer sa peur, mais elle était blême et chancelante. L’obscurité des forêts lui avait paru pleine d’embûches ; son trouble les avait peuplées de nombreux et mortels dangers. Noyée dans les ténèbres du chemin creux, elle se remettait mal de ses frayeurs, et sans doute craignait-elle d’avoir soudain le dos percé de quelques flèches.
    — Sois sans crainte, ma douce…
    Ogier sentait sur ses épaules endolories par le dossier du charreton le poids d’une gêne irrémédiable. Il lui semblait s’être chaussé de plomb. Baissant la tête afin de mieux placer ses pas, il imagina ses soudoyers s’interrogeant du regard. « Vais-je leur dire de quoi il s’agissait ? » Non.

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