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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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hommes : il n’avait ni femelle pour l’admirer ni enfançons à défendre, il nous a vus et dédaignés…
    Entre les chênes et les hêtres, des saules marsaults apparurent : ils annonçaient une procession d’étangs. Bientôt, l’air s’imprégna de l’odeur fétide des bourbes et des vases. Ici commençait le pays du croupi, de la fange à peine moins liquide que l’eau. Le chemin dominait des buissons, des boqueteaux douteux, des petits champs plantés d’ajoncs courbés comme des arcs. Joubert poussa un cri :
    — Une limace noire… Une autre !
    — Des sangsues, fit Tinchebraye, méprisant.
    — Pas de quoi s’ébahir, ricana Delaunay. Dans un pareil bourbier, ces bestioles sont à l’aise.
    Ogier sentit Blandine se serrer contre lui. Bazire se retourna :
    — Faudra bien regarder les jambes des chevaux, messire, quand nous nous arrêterons plus loin… Des sangsues, c’est pas méchant… Y en a en Poitou, en Berry, en Anjou… tout autour d’Orléans…
    — … et dans le Cotentin, dit Ogier.
    Puis tout bas, sa bouche effleurant l’oreille de Blandine :
    — Loin de Gratot… Très loin : du côté de Montebourg.
    — Je m’y connais un peu, reprit Bazire de nouveau attentif aux détours du chemin. Mon père était potier ; il tournait de tout, même des cruches percées de trous pour les mettre en icelles [132] . C’est comme ça qu’il a su que les sangsues ne se ressemblaient pas toutes… Il y a les allemandes, grises comme de menus morceaux de plomb fondu… Il y a des hongroises, vertes comme des petites saucisses de chair moisie…
    — Fais-le taire, Ogier ! supplia Blandine.
    — Enfin, il y a celles qu’on trouve au royaume de France, les sangsues dragon… ou dragonnes, je ne sais. Elles sont fruitées, voraces… On dit qu’elles voient, qu’elles goûtent et flairent sans qu’on sache comment…
    — Il suffit, Bazire !… Tu nous feras vomir si tu continues.
    — Oh ! oui, taisez-vous, dit Blandine.
    Ses lèvres s’étaient pincées. L’autorité de sa voix affirmait une volonté de quiétude dont Ogier fut ébaubi. Rien n’était pur, ici, et elle le savait. S’il la plaignait et cherchait trop à la conforter, elle s’en courroucerait et lui reprocherait de regretter tardivement cette épreuve injuste pour elle.
    « Et moi ? » se demanda-t-il.
    Quelle outrecuidance effrénée l’avait poussé à complaire à Sirvin sitôt révélé ce qu’il était et comment il jugeait les choses de la Foi ! « Ce n’est pas de l’outrecuidance ! C’est de la dévotion pure et simple ! » Voire. Il s’était cru solide, hardi, astucieux ; il n’était plus que désordre, faiblesse, incertitude et pour un coup sa foi ne lui servait à rien. Songeant aux Teutoniques, il demanda :
    — Voyez-vous les traces de ces males gens ?
    — Disparues, dit Joubert.
    — Il n’y a pourtant que ce chemin !
    — Messire, dit Lehubie, de l’arrière, cette terre est si spongieuse que nos empreintes disparaissent, elles aussi, sitôt après notre passage.
    — Pays pourri !
    Bazire criait d’autant plus fort qu’il attribuait à sa colère un pouvoir de conjuration. Grossis par les pluies de septembre, les étangs débordaient, et rien ne donnait à penser que ce chemin menait à une voie solide, à quelque cité, sinon à un hameau. De toute évidence, la forêt s’étendait encore sur une lieue ou davantage. Un silence s’était fait que les oiseaux n’osaient interrompre.
    — Nous aurions dû reprendre la voie par laquelle nous sommes venus en Poitou : Mayenne, le Mans et Tours…
    La main de Blandine toucha la dextre d’Ogier, sans qu’il abandonnât les rênes.
    — En veux-tu à ces étangs ou aux malandrins qui nous devancent ?
    — Je m’accommode mieux de ces eaux puantes que de ces malandrins, comme tu dis !
    — Tu courbes le dos plus qu’il ne le faut, mon doux époux… Tu n’as pourtant nul reproche à te faire…
    Ogier n’osa regarder sa femme : guider le limonier exigeait trop d’attention. Devant, Marchegai semblait lui montrer la voie ; et devant encore, à la queue leu leu, Joubert, Tinchebraye et Bazire s’étaient tus, requis eux aussi tout entiers par la conduite de leur cheval.
    — Tourne-toi… Souris-moi, Ogier ! Je n’aime pas ces plis durs sur ton front…
    « J’ai perdu, mais ne suis coupable en rien de ma mésaventure. Et j’emmène à Gratot un trésor bien à moi ! » Se détournant

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