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Les noces de fer

Les noces de fer

Titel: Les noces de fer Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Pierre Naudin
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un peu, il put se dire que sa male chance, en assombrissant son humeur, le rendait plus sensible aux attraits de Blandine, plus enclin à découvrir sur son visage penché vers les confins brumeux de la forêt, des détails imprévus et touchants : ce menu pli de la commissure quand la lèvre inférieure s’avançait pour une expression de volonté ou de dédain ; ce petit point de chair couleur d’ambre sur le lobe de l’oreille ; la netteté presque transparente de la paupière aux longs cils qui jetait sur l’œil, par intermittence, une ombre fugace et dorée.
    — Vois, dit-elle, tes soudoyers s’arrêtent… Je ne sais si nous sommes au bout de nos peines.
    Immobile sur un rocher – le seul qu’on pût trouver, sans doute, dans ce pays de boue –, un homme les observait. Il portait à son flanc une épée, sur le dos une arbalète et un carquois, et ses mains poignaient une guisarme. Un chapel de Montauban, cette calotte au large bord ferré renforcée de clinques [133] épaisses versait une ombre sur son visage. Ogier remarqua la brigantine noire en mauvais état, et les chausses de mailles, trop larges, formant de gros bourrelets aux genoux. « Après les Teutoniques, la truandaille, car ce triste-à-patte [134] n’est sûrement pas seul ! » L’homme hurla en remuant son arme :
    — Holà !… Pourquoi chevauchez-vous sur les terres de Droon de la Croixille ?
    — On chevauche où on peut, dit Tinchebraye avec cette sérénité qui, chez lui, annonçait le dépit ou la violence.
    — Je me dois d’exiger, en temps que péager, un droit de…
    — As-tu demandé le péage à ceux qui nous devançaient ?… Ils étaient plus de vingt, conduits par trois chevaliers… Ils étaient comme nous dispensés du péage !
    — Comme vous ?… Je ne vois aucun chevalier avec vous !
    L’homme, en sautant de son rocher, s’était embourbé jusqu’aux chevilles. Il s’approchait. Face ronde, yeux allongés, pareils à ceux d’un chat ; nez camus. Sa lèvre supérieure, épaisse, dissimulait celle de dessous. Le menton s’empennait d’une barbe à deux pointes. « Comme Édouard III », se dit Ogier. Cette ressemblance aggrava son ire.
    — Bien que menant cette charrette, je suis chevalier, dit-il. Moult soudoyers et trois chevaliers nous devançaient. Les as-tu vus ?
    — Oui… Ils ont refusé d’ouvrir leur escarcelle, et ils étaient trop pour que mes compagnons et moi on s’oppose au passage.
    « Combien sont-ils ? » se demanda Ogier.
    — Je suis chevalier…
    — Vêtu en manant, ça m’étonnerait… Mais votre femme, l’homme, a tout d’une chevaleresse !
    Un sourire se joua sur la bouche large, rapprochant singulièrement le menton du nez violacé. Ogier sentit son pied touché par celui de Blandine : elle craignait un nouveau danger ; lui aussi. Il demanda :
    — Sommes-nous sur le chemin de Fougères ?
    L’homme se détourna. Du picot de sa guisarme il désigna un lieu au-delà d’un étang :
    — Il court par là… Ici, c’est la terre du baron Droon de la Croixille… Pour passer, faut payer…
    — Rien ! Pas un sou, ribaud, tant les terres de ton seigneur sont pourries !
    Ogier entendit des aboiements. Droon de la Croixille, s’il possédait une meute, devait avoir du mal à chasser dans ces étendues que le gibier d’eau semblait lui-même dédaigner.
    — Est-ce lui qui vient vers nous ?
    Le soudoyer ricana. Le poids du silence, l’odeur âcre de la terre et des vases, les flèches du soleil tombant des ramures, le sabotement mou des chevaux impatients, l’angoisse par trop visible de Blandine et l’incertitude de ces inconnus se rendant à Fougères aiguillonnaient ses appétits de truand ou réveillaient leur violence assoupie. Quand son regard croisa celui d’Ogier, il comprit que la moquerie resterait sans effet sur ce conducteur dont le mépris l’offensait plus encore que son entêtement à passer sans payer.
    — Le sire de la Croixille est en son châtelet… Nous avons deux chiens avec nous… Quand je dis nous, c’est que j’ai des compagnons embûchés… Hé ! les gars, montrez-vous…
    Ogier les vit sortir d’un fourré, l’arbalète armée. Ils étaient trois, jeunes et hautains quoique d’apparence aussi misérable que leur compère. D’autres pouvaient, non loin de là, se tenir à l’affût, et comme s’il avait deviné sa pensée, le péager annonça :
    — Un quatrième, messire, garde nos

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