Les noyés du grau de Narbonne: une enquête d'Erwin le Saxon
attachée et b‚illonnée, noyer la malheureuse dans cet étang, de manière à éviter les aléas d'une exécution sur place, et la transporter ensuite sur le lieu des découvertes spectaculaires. Il ajouta, comme pour lui-même :
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Mais peut-être les meurtriers ont-ils, une fois de trop, tenté le diable : comme nous en apprenons sans cesse davantage sur les éventuelles circonstances de l'enlèvement, du meurtre et du transport de la victime, nous pouvons espérer débusquer sans tarder ces gibiers de potence !
Après que les obsèques de Léoda eurent été célé≠brées à Leucate, Erwin et Childebrand chargèrent le frère Antoine de mener dans ce port les recherches qui s'imposaient.
Le moine se présenta d'abord chez Aymeric qu'il trouva plongé dans un profond chagrin. Le négociant habitait un hôtel situé un peu à l'écart de la cité. Il était servi par une domesticité nombreuse parmi laquelle figuraient des esclaves sarrasins. En sa demeure tout respirait la richesse.
Ils prirent place près d'une table ornée de mosaÔques et sur laquelle avaient été disposées des boissons capi≠teuses et des p‚tisseries. L'envoyé
des missi interrogea son hôte sur son union avec Léoda. Aymeric l'avait épousée une dizaine d'années auparavant. Elle était originaire de Saint-Pons-de-Thomières, localité sise au pied du mont du Somail.
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Je me rendais souvent dans ces pays, sur les
monts de l'Espinouse, de Lacaune, et aussi sur les Causses, à mes débuts, expliqua le négociant.
Il désigna d'un geste large le luxe de la salle dans laquelle ils se trouvaient.
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Depuis, n'est-ce pas...
Le frère Antoine approuva obligeamment.
J'ai rencontré Léoda à l'occasion d'un voyage.
J'étais en affaire avec son père qui possédait quelque bien. J'avais une trentaine d'années, elle était très jeune. Mais tu sais ce que c'est...
Je crois le savoir. Elle t'a plu, vous vous êtes aimés, malgré son ‚ge son père a consenti à ce que tu l'épouses.
Elle m'a donné trois enfants, une fille, ‚gée à ce jour de huit ans, et deux garçons de six et quatre ans.
Des larmes coulèrent sur le visage crispé d'Aymeric.
La mort de leur mère a été pour eux un coup ter≠
rible. Je ne leur en ai pas révélé, naturellement, les cir≠
constances effroyables. Je leur ai dit qu'elle s'était noyée par accident. Pauvres enfants ! Comme moi, ils sont inconsolables, surtout Adèle, mon aînée, qui n'a pas cessé de se lamenter et que je dois forcer à se nour≠
rir. C'est trop affreux !
Je crains, vois-tu, qu'ils ne soient pas au bout de leurs douleurs, car ils finiront par apprendre la vérité
sur ce meurtre, hélas !
Cette idée me hante. Mais qu'y faire?
Mettre sur une telle blessure le baume de la jus≠
tice, en aidant mes seigneurs à appréhender les cou≠
pables. As-tu quelque soupçon sur les raisons de cet assassinat et aussi, d'ailleurs, des forfaits semblables qui ont troublé tout le pays, sur leurs auteurs?
Le frère Antoine, bien qu'il déploy‚t toutes les res≠sources de son talent d'enquêteur, n'obtint de son interlocuteur que des réponses vagues attribuant ces crimes à la jalousie, à d'éventuels ennemis de l'ombre, voire à la folie. Il prit congé d'Aymeric avec courtoi≠sie, non sans le prévenir qu'il aurait peut-être à subir d'autres interrogatoires, à
Narbonne.
L'entretien qu'il eut ensuite avec Sabine, l'amie chez laquelle Léoda avait soupe avant d'être enlevée, fut plus fructueux. Elle habitait près du port une demeure modeste. Léoda, qui n'appréciait guère le faste de l'hôtel o˘ Aymeric étalait sa richesse, se plai≠sait à se réfugier chez son amie pour y converser à l'aise loin de la vigilance obséquieuse des domes≠tiques.
Le moine avait fait prévenir Sabine de sa visite. Elle lui réserva un accueil empressé : elle était heureuse de pouvoir enfin confier à
quelqu'un, en l'occurrence un assistant de très hauts dignitaires impériaux, des secrets qui l'étouffaient. Ses confidences apprirent au frère Antoine que, ici encore, l'époux avait brossé un tableau idyllique d'une situation qui ne l'était pas. En fait, selon elle, le ménage d'Aymeric et Léoda était allé de mal en pis.
Il l'avait épousée, précisa-t-elle, alors qu'il ne possédait à peu près rien, tandis que les parents de Léoda vivaient dans l'aisance. Ce mariage lui mit le pied à l'étrier.
Je pressens la suite.
Mon père, cet homme est rusé,
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