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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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outre-mer lui et sa femme ne cessaient pas d’en discuter dans leur correspondance. Il n’était pas exactement en train d’écrire quand Wilson l’avait appelé ; crayon en main, il songeait avec enthousiasme et joie au jour où il deviendrait un citoyen établi dans la communauté, avec pignon sur rue. Il ne s’agissait pas d’une simple rêverie ; il avait déjà choisi l’emplacement de son futur atelier, et il avait imaginé bien proprement l’argent que lui et sa femme économiserait si la guerre durait un an ou deux tout au plus – il était très optimiste quant à la durée de la guerre – et il avait même calculé combien ils pourraient mettre de côté au cas où il serait promu caporal ou sergent.
    Là était son seul plaisir depuis qu’il avait quitté l’Amérique. La nuit, sous sa tente, il restait éveillé et faisait des projets d’avenir, ou bien il pensait à son fils, ou encore il essayait d’imaginer où sa femme pouvait être à ce moment-là. Et parfois, s’il décidait qu’elle était en visite chez ses parents, il tâchait de reconstituer leur conversation et il gigotait d’allégresse rentrée au souvenir des plaisanteries familiales.
    Mais, à présent, il ne lui était pas possible de s’abandonner à ces réflexions. Dès qu’il s’efforçait d’entendre la légère et paisible voix de sa femme, il devenait conscient du rire obscène des hommes qui n’arrêtaient pas de boire. Ses yeux s’emplirent de larmes, et il secoua la tête avec colère. Pourquoi le haïssaient-ils à ce point ? se demandait-il. Il faisait de son mieux pour être un bon soldat. Il ne s’était jamais soustrait à une corvée, il était aussi fort que n’importe lequel d’entre eux, et il travaillait plus consciencieusement que la plupart des hommes de sa section. Malgré bien des tentations il n’avait jamais, étant de garde, tiré un coup de fusil, mais personne ne semblait s’en être aperçu. Croft n’avait jamais reconnu son mérite.
    « Ce n’est qu’une bande d’antisémites, se dit-il. Tout ce que les goyim savent, c’est courir avec des femmes de peu et se soûler comme des cochons. » Il regrettait, dans le secret de son cœur, de n’avoir connu que peu de femmes, de ne pas connaître la facile et bruyante camaraderie de l’ivresse. Il était fatigué d’espérer s’en faire des amis ; ils ne voulaient pas de lui, ils le haïssaient. Avec exaspération, il frappa de son poing la paume de sa main. « Mon Dieu, comment pouvez-Vous permettre que les antisémites soient en vie ? » demanda-t-il. Il n’était pas religieux, et cependant il croyait en un Dieu, un Dieu personnel à qui l’on pouvait chercher querelle, à qui l’on pouvait certainement adresser des remontrances. « Pourquoi ne mettez-Vous pas fin à ces choses ? » demandait-il avec amertume. Cela lui semblait une chose bien simple à accomplir, et il s’irritait contre le Dieu en lequel il croyait, comme si celui-ci eût été un parent, bon certes, mais un peu étourdi, un peu paresseux.
    Il se remit à sa lettre. « Je ne sais pas, chérie, j’en ai tellement assez parfois que j’ai envie de tout plaquer. C’est une chose terrible à dire, mais je hais les soldats avec lesquels je me trouve, c’est une bande de grobe jungen. Honnêtement, chérie, il est bien dur de se rappeler toutes nos belles idées. Malgré les^ juifs en Europe, il m’arrive de ne pas savoir pourquoi nous luttons… » Il relut ce qu’il venait d’écrire, puis l’effaça violemment, restant là, immobile, saisi d’une angoisse froide.
    Il changeait. Il s’en rendit compte, soudainement. Sa confiance s’en était allée, et il n’était plus sûr de lui-même. Il haïssait tous ceux avec qui il vivait et travaillait, alors qu’il ne se souvenait pas d’avoir jamais haï personne. Il se prit la tête, puis, laborieusement, il recommença à écrire. « J’ai une idée oui n’est pas mauvaise. Peut-être devrions-nous essayer d’entreprendre quelque chose du côté des vieilles guimbardes. Il y a des tas de rossignols qui n’auraient besoin que d’un peu de soudure pour remarcher, et à supposer qu’ils n’aient pas l’air très pimpant… »
    Wilson ne se sentait pas en place. Il était resté assis au même endroit pendant plusieurs heures, et il commençait à se trouver moins content de la vie. Ses séances de beuverie suivaient toujours la même courbe : au cours des premières heures il se

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