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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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jamais quand on était sous la coupe du général. Même la nuit où ils avaient joué aux échecs, c’était lui et non pas Cummings qui avait piqué une crise ; c’était lui qui, allongé sur sa couchette, avait pataugé dans la vase et dans les plaies de ses souvenirs.
    « Vous autres officiers cadets, est-ce que vous recevez tout le whisky qu’il vous faut ? » Que diable a-t-il voulu dire par là ? Obéissant à une impulsion, il ouvrit le coffre à liqueurs du général et examina les bouteilles débouchées. Il savait que Cummings buvait chaque soir entre un et deux pouces de Scotch, et que, avec une curieuse pingrerie, il marquait au crayon le niveau de la bouteille avant de la remettre en place. Hearn, qui s’en était rendu compte avec amusement, estima que ce petit trait ne manquait pas d’intérêt parmi toutes les contradictions qu’il trouvait au général.
    Mais, aujourd’hui, le niveau de la bouteille de Scotch était au moins de deux pouces et demi au-dessous du trait de la veille. Cummings s’en était aperçu le matin, et l’avait réprimandé d’avoir bu à ses frais. « Vous autres officiers cadets, est-ce que vous recevez tout le whisky qu’il vous faut ? » Seulement, c’était absurde : Cummings connaissait son monde mieux que cela.
    C’aurait pu être Clellan. Cela se pouvait. Il était cependant peu probable que Clellan compromit une sinécure comme celle d’être l’ordonnance du général, pour un coup de whisky. De plus, Clellan était assez malin pour démarquer lui même le niveau de la bouteille s’il lui avait pris d’y siffler.
    Tout d’un coup Hearn eut l’image d’un Cummings assis sous sa tente à l’heure de se coucher, examinant avec attention l’étiquette de sa bouteille de whisky ; il le voyait prenant son crayon, réfléchissant une seconde, puis remettant la bouteille en place sans l’avoir marquée. Quelle avait été l’expression de son visage à ce moment-là ?
    Ceci n’était plus drôle du tout. Pas après la tente du foyer et les fleurs et Kerrigan. Jusqu’à ce petit épisode Hearn avait pu considérer les bouffonneries du général comme les produits de son intense et retors appétit ; c’était, d’une certaine manière, quelque chose comme un badinage entre amis. Mais ceci était pervers. Et effrayant – un peu. Malgré toutes ses préoccupations, malgré tout le poids de ses soucis, Cummings avait trouvé le temps de tramer ces machinations, de se décharger d’une parcelle de la grande frustration qui le travaillait.
    Dans ce moment Hearn avait compris que c’était en cela que, fondamentalement, leurs relations avaient toujours résidé. Il avait été l’animal favori, le chien-chien du maître, gâté et choyé, truffé de douceurs – jusqu’à ce qu’il eût la présomption de mordre la main qui le caressait. Et, depuis, Cummings était torturé par le sadisme particulier que la plupart des gens se sentent capables de nourrir seulement à l’endroit d’un animal. Il avait servi de diversion au général, et il en souffrait avec une profonde et muette colère qui lui venait en partie de la conscience qu’il avait d’avoir consenti à jouer son rôle de chien, d’avoir même eu des rêves de chien, soigneuse-f ment refoulés, le rêve d’égaler un jour son maître. Et même cela, Cummings l’avait probablement compris – et il s’en était amusé.
    Il se souvint d’une histoire que Cummings lui raconta à propos d’un fonctionnaire au département d’Etat à la guerre, que l’on renvoya après avoir planté de la littérature communiste dans les tiroirs de son bureau.
    « Je m’étonne que cela ait réussi, avait dit Hearn. Vous dites que tout le monde savait que cet homme était sans malice.
    – Ces choses réussissent toujours, Robert. Vous n’avez pas la moindre idée combien le Grand Mensonge est efficace. Votre homme moyen n’ose jamais supposer que les hommes au pouvoir possèdent toutes les sales impulsions qu’il a lui, avec cette différence qu’eux savent mieux s’y prendre pour les satisfaire. De plus, personne ne peut jurer de sa propre innocence. Nous sommes tous des coupables, voilà la vérité. Le bonhomme en question avait fini par se demander si, après tout, il n’avait pas appartenu au parti. Pourquoi, pensez-vous, Hitler a-t-il été capable de rester impuni si longtemps ? Les diplomates, avec leur mentalité primitive, ne pouvaient simplement pas croire qu’il ne

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