Les Nus et les Morts
d’une cuisine, peut-être d’une pièce au rez-de-chaussée où chahuter, et avec ça on est paré, d’accord avec moi, madame Judd ?
(M me Judd est plus grassouillette, plus douillette, avec des airs plus absents.) C’est ce que je pense, monsieur Hearn. Monsieur Judd et moi nous sommes fort contents de notre appartement à Alden Park Manor, c’est si facile à entretenir.
Joli endroit, Germantown. Il faut que nous visitions les Judd là-bas, Ina.
Quand vous voudrez, je vous montrerai les environs, dit M me Judd. Il y fait un silence, les gens mangent sans faire de bruit, on n’entend pas leur vaisselle. Une vue ravissante là-bas, commente-t-elle.
C’est la seule place où aller pour fuir la chaleur de Chicago, dit Ina. Nous sommes si arriérés par rapport à New York, pensez donc ils n’ont même pas de jardins suspendus sur les toits de leurs hôtels ici. Il fait si chaud pour un mois de mai. Je n’ai pas la patience d’attendre que nous partions pour Charlevoix. Prononcé : Choliveoil.
Michigan, voilà un Etat avec de la verdure, dit Will Hearn. Il y a un silence et M me Judd se tourne vers Robert Hearn et dit –, tu es un si grand garçon pour te » douze ans, je pensais que tu étais plus âgé.
Non, maame, seulement douze. Il baisse la tête avec gêne alors que le maître d’hôtel lui présente le canard rôti.
Ne faites pas attention à Bobby, il est pour ainsi dire timide, tonne Will Hearn, il est certainement pas le fils de son père. Il repousse ses rares cheveux noirs sur la région chauve de sa tête. Son petit bouton de nez rouge occupe le centre de ses bajoues rondes qui transpirent.
Quand nous avons été à Hollywood, dit M me Hearn, nous avons fait le tour des studios Paramount avec un assistant de metteur en scène juif, mais il était plutôt gentil. Il nous racontait des tas de choses au sujet des stars.
Est-ce que c’est vrai que Mona Vaginus est une cocotte ? demande M me Judd.
(Regardant du côté de Bobby, et chuchotant.) Oh ! une terrible cocotte, et les choses qu’on dit qu’elle fait. Mais de toute façon elle n’a plus d’avenir, maintenant qu’on ne fait plus que ces films parlants.
C’est pas le moment de parler affaires, madame Judd de Budd (Hearn rit), je parie que vous entendez ça tout le temps, Judd de Budd, mais fa vérité est que vous êtes dans les affaires pour faire des affaires, et si c’est pas curieux, moi aussi j’y suis pour la même raison, alors c’est le cas ou jamais de nous entendre sur le prix, mais il y a que cette machine Thompson est sur le point de sortir et si les réformateurs s’en mêlent il y aura du grabuge à moins de mettre du parfum dans les chasses d’eau à l’usine et des trucs comme ça pour tous ces espèces de Polacs qui savent pas la différence entre up chiffon et un vêtement de dessous, alors faut que j’y regarde à deux fois avant de prendre des engagements financiers. Je prévois un krach parce qu’on est en pleine surproduction, et vos prix chez Budd ne me rendent pas les choses faciles.
Madame Judd et moi comptons aller à Paris. On leur sert les petits fours et des glaces qui fondent.
Dites, vous voulez que je vous emmène demain voir ces courses à Indianapolis ? demande Will Hearn.
Pauvre Robert, il tombe de sommeil, dit Ina tout en le poussant du coude.
Dieu ce qu’il fait chaud, dit M me Judd.
Ina se soulève et rallume la lampe de chevet. Will, comment as-tu pu demander aux Judd où se trouve
Mount Holyoke ? Si tu ignores quelque chose, ne pose pas tant de questions.
Et alors, et qu’est-ce que ça fait que leur fille y aille ? Ces maudits Judd ne me font pas peur et je vais te dire quelque chose, Ina, ces gens du monde ne m’impressionnent pas parce que la vérité vraie c’est qu’il n’y a que l’argent qui compte, et nous avons pas de fille pour nous donner la migraine, et pour ce qui est de Robert, avec tous ces livres qu’il lit je le vois pas qui se mêlera beaucoup à la société de toute façon, surtout que toi t’es jamais autour de cette maudite maison et le gosse il a une cuisinière nègre pour mère.
Will, je voudrais que tu ne me parles pas sur ce ton.
Eh bien, Ina, on ne rééduque pas un ours. Moi j’ai mes affaires et toi t’as tes invitations dans le monde, et chacun de nous devrait être heureux. Seulement il me semble que tu pourrais donner un peu de ton temps à Robert, cet enfant il grandit, et il est bien portant, mais il est
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