Les Nus et les Morts
plier point.
Et, cependant, il eut peur de Cummings ; peur, en vérité, dès l’instant où il avait abordé sa tente. Tout son être s’était braqué à l’idée de ramasser le mégot – et il avait obéi, obéi dans un état d’engourdissement d’où sa volonté avait disparu.
« La seule chose qui compte c’est avoir du style. » Il l’avait dit une fois, il avait vécu selon cette règle à défaut d’une autre, elle lui avait servi de guide – presque satisfaisant à ce jour. L’essentiel était de ne permettre jamais, à personne, dans aucune situation fondamentale, de violer votre intégrité. Et voilà que cette situation-ci était fondamentale. Il avait l’impression qu’un kyste immense, sanieux, l’purulent, s’était débridé au-dedans de lui, infectant son sang, circulant par tous les conduits de son corps avec une soudaine et violente impétuosité. Il était mort s’il ne réagissait pas. Pour la première fois de sa vie il douta de ses moyens. Cela était impossible, il fallait faire quelque chose – et il n’avait pas la moindre idée quant à la manière de s’y prendre. L’atmosphère était intolérable sous la tente surchauffée et sans air, mais il se tenait immobile, son large menton fiché dans la literie de sa couchette, ses yeux clos, comme s’il contemplait la somme de ses expériences, la somme des choses apprises et désapprises au cours de sa vie, et qui, libérées enfin, se déchaînaient dans sa chair avec la meurtrière véhémence de tout ce qui a jamais été trop longtemps refoulé.
« Je n’aurais jamais cru que je ramperais devant lui », pensa t-il. C’était là le choc, c’était là la chose si terrible a admettre.
LA M ACHINE A FAIRE LE TEMPS :
ROBERT HEARN, LA MATRICE INFÉCONDE
Un homme de grande taille avec une toison de cheveux noirs, une petite voix tranchante, et une face lourde el immobile. Au-dessus d’un nez court, plat, légèrement crochu, le regard de ses yeux marron était froid et imperturbable. Large, fine, sans expression, sa bouche dominait en saillie la masse solide de son menton. Il n’aimait que bien peu de gens, et la plupart de ceux qui avaient affaire à lui s’en Tendaient compte avec gêne au bout de quelques minutes.
Au centre, fouaillant vos sens, se trouve la Cité.
La terre et les routes y mènent, depuis des milliers de milles. Les montagnes se sont résorbées en collines, les collines en plaines, les plaines se déroulent et se regroupent en de larges et majestueuses circonvolutions. Personne n’a jamais réellement compris le vaste tableau d’Amérique, et les pointes d’épingle, les additions au tableau – la grande cité et les pistes de fer qui y mènent.
Le ligament.
Et toute la frénésie des machinations, la fumée de cigare, la fumée de coke, le vomitoire phénique du métro aérien, la passion paniquarde de la bougeotte pareille à celle d’une fourmilière brusquement mise en branle, la vaste, hâtive, grappilleuse combine des milliers de gens dont la réalité se limite à une rue, à un café, et où le pré sent seul a un sens. L’Histoire, on s’en souvient avec un haussement d’épaules : ses superlatifs ne correspondent pas aux nôtres.
L’immense Moi du peuple citadin.
Comment concevez-vous votre propre mort, votre propre insignifiance au milieu de cette immensité créée par la main de l’homme, de ces voûtes de marbre et d’arêtes de brique et de hauts fourneaux qui conduisent sur la place du marché ? Vous pensez toujours que le monde finira avec votre mort. Il continue, plus intense, plus violent, plus sillonné que jamais.)
Et dans l’humus, au pied du champignon, poussent les banlieues.
Depuis que nous avons ajouté cette dernière aile, nous avons vingt-deux pièces. Dieu sait ce que nous allons en faire, crie Will Hearn. Mais Ina essayez donc de lui dire quelque chose, elle s’imagine qu’on en a besoin, et on l’a.
Voyons, Will, fait Ina. (Une jolie femme qui paraît plus jeune et plus svelte que la mère d’un garçon de douze ans. Pas de beauté, toutefois. Elle a la bouche fine et aseptique, les dents légèrement saillantes, le manque de charme des femmes du Middlewest.)
Eh bien, je suis franc comme un vieux soulier, dit Will Hearn. J’ai pas de vanité moi, et j’ai pas plus honte que ça de dire que je sors d’une vieille ferme délabrée. Comme je vois les choses on a besoin d’un salon, d’une paire de chambres à coucher,
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