Les Nus et les Morts
temps de leurs fiançailles, ont été si passionnées.
La naissance de l’enfant apporte avec elle d’autres soucis. Il se fait ses quarante dollars par semaine, et pendant les week-ends il travaille comme garçon de comptoir au débit de glaces et de rafraîchissements du coin. Il est fatigué, souvent préoccupé ; Natalie a eu besoin d’une opération césarienne, et ils s’endettent pour payer le chirurgien. La vue de la cicatrice le trouble, malgré lui il ne la regarde jamais sans déplaisir, et Natalie s’en rend compte. Elle est tout entière à son enfant, et passe semaine après semaine sans bouger de la maison. Pendant les longues soirées d’hiver il la désire très souvent, se contient, et son sommeil s’en ressent. Une nuit leur accouplement finit par une querelle.
Il a une mauvaise habitude. Quoi qu’il en ait il faut qu’il demande au beau milieu de l’acte tu es excitée ? Le sourire, si peu engageant, de Natalie l’irrite vaguement.
Un peu, dira-t-elle.
Il ralentit, pose la tête sur l’épaule de sa femme, se détend, respire profondément. Puis il repart.
Et maintenant ? Tu y viens, Natalie ?
Son sourire, de nouveau. Je suis très bien Joey. Ne t’inquiète pas de moi.
Il se laisse aller à plusieurs minutes d’immobilité, l’esprit ailleurs, imaginant un autre enfant. Ils eurent leur premier après en avoir discuté, après s’être mis d’accord qu’ils voulaient un bébé, mais il ne peut pas se permettre d’en avoir un autre, et il se demande si Natalie a bien mis en place le diaphragme. Il lui semble qu’il le peut sentir, et ça l’ennuie. Tout à coup il se sent venir, et il se retient exaspérément.
Tu es bientôt prête ?
Ne t’inquiète pas de moi, Joey.
Il est pris de colère. Réponds-moi, tu es bientôt prête ?
Oh ! chéri, je ne pourrai pas ce soir, ça n’a pas d’importance, continue, ne t’occupe pas de moi, ça n’a pas d’importance.
Leur querelle les démoralise et les refroidit. Il redoute le fade instant de la jouissance solitaire et il se rend soudain compte qu’il ne peut pas, qu’il ne pourra pas rester au lit avec la sensation déprimante d’un échec.
Il jure, pour une fois. Au diable avec tout ça. Il la laisse, s’approche de la fenêtre, regarde le parchemin décoloré du store. Il tremble, en partie de froid.
Elle vient le retrouver, se blottissant contre lui pour le réchauffer. La caresse, suggestive, incertaine, le fâche. Il la sent toute maternelle. Va-t’en, je ne veux pas de… de mère, explose-t-il maladroitement, pris de doute et d’épouvante à la pensée de la chose redoutable qu’il vient de dire.
Ses lèvres esquissent leur sourire décoloré, puis se rident dans une grimace. Elle pleure sur son lit comme une petite fille. Après deux ans et demi de mariage il découvre tout d’un coup que quand elle a ce sourire-là elle est proche de l’hystérie et de la terreur et peut-être de l’écœurement. A cette découverte tout se fige dans sa poitrine.
Au bout d’un moment il s’effondre à côté d’elle, lui cale la tète sur un coussin, et lui caresse le front et les joues pour la réconforter.
Au matin rien de tout cela ne paraît bien terrible, et vers la fin de la semaine il a à peu près oublié l’incident. Toutefois, pour lui, les joies charnelles du mariage sont finies, ou presque finies ; quant à Natalie, cela signifie qu’elle doit feindre l’excitation pour éviter de le blesser. Leur mariage se tasse, comme des fondations sur une roche de fond. Ce genre d’échec, pour eux, n’est ni très grave, ni réellement dangereux. Ils trouvent des compensations dans leur enfant, en renouvelant leur ameublement, en discutant au sujet d’une assurance-vie dont ils finissent par souscrire une police. Il y a encore des problèmes relatifs à son travail, à la lenteur de son avancement, au caractère de ses compagnons d’atelier. Il joue aux quilles avec certains d’entre eux, Natalie fait partie de la communauté religieuse auprès du temple de leur quartier, et elle finit par persuader les membres du cercle de donner un cours de danse. Le rabbin, un homme jeune, est aimé de tous parce qu’il est moderne. Les mercredis soirs les Goldstein ont quelqu’un pour garder leur enfant, et ils vont entendre le rabbin qui fait sa conférence hebdomadaire sur les livres à succès.
Ils s’étendent, prennent du poids, donnent de l’argent aux organisations charitables d’aide aux
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