Les Nus et les Morts
commenta Croft.
Hearn haussa les épaules. « Ils ont probablement assez à faire sans ça. C’est joliment loin derrière leurs lignes. »
La brume se dissipait et Croft loucha dans les jumelles. « J’en sais rien, mon lieutenant. Ce col est assez étroit pour qu’une seule section le tient jusqu’à perpète. » Il laissa aller un crachat. « Sûr, faudra aller voir. » Le soleil commençait de faire ressortir le contour des collines, et l’ombre s’amincissait dans les creux et dans les replis.
« Il n’y a fichtre rien d’autre à faire », grommela Hearn. Déjà il réagissait à l’antipathie réciproque entre lui et Croft. « La chance aidant nous camperons ce soir derrière les lignes japonaises, et demain nous pourrons pousser une reconnaissance. »
Croft en doutait. Ses instincts, son expérience, lui disaient que le passage du col était dangereux, peut-être même futile, et cependant il n’y avait pas d’alternative. Ils pouvaient s’attaquer au mont Anaka, mais Hearn refuserait d’en entendre parler. Il cracha de nouveau. « Rien d’autre à faire, je suppose », dit-il. Mais il ne laissait pas d’être troublé. Plus il examinait la montagne…
« Allez, mettons-nous en route », dit Hearn.
Ils descendirent vers les hommes, ajustèrent leurs sacs et se mirent en marche. Hearn, Brown et Croft passaient alternativement en tête de colonne, tandis qu’agissant en éclaireur Martinez les devançait de trente ou de quarante mètres. L’herbe était humide de la rosée nocturne et les hommes glissaient fréquemment dans les descentes et ahanaient bruyamment dans les montées. Hearn, toutefois, se sentait en forme. Ayant réagi contre les fatigues de la veille, son corps avait gagné en force ce qu’il avait brûlé en déchets. Il s’était réveillé avec une roideur dans les muscles et une épaule endolorie, mais dispos par contre, et de bonne humeur. Ses jambes étaient fermes, et il se savait une réserve accrue d’endurance. Comme ils traversaient leur première crête il resserra son paquetage sur ses épaules et présenta son visage au soleil. Tout sentait bon, l’herbe avait la douce et fraîche odeur des petits matins. « Allons-y les gars, un coup de reins », dit-il allègrement, les regardant passer un à un. Il venait de quitter la tête de la colonne et il allait d’un homme à l’autre, ralentissant ou augmentant son pas pour se tenir à leur niveau.
« Comment ça va aujourd’hui, Wyman, un peu mieux qu’hier ? »
Wyman fit oui de la tête. « Oui mon lieutenant. Je regrette que j’ai flanché hier.
– Diable, on est tous vannés, mais ça ira mieux aujourd’hui. » Il lui donna une tape sur l’épaule et ralentit pour laisser venir Ridges.
« Un tas de pays, hein mon gars ?
– Oui mon lieutenant, un bien grand tas », dit Ridges en souriant.
Il marcha un moment à la hauteur de Wilson. « Alors, on fertilise toujours la terre, mon vieux ?
– – Oui, j’ai perdu mon robinet, y a plus moyen de rien garder. »
Hearn lui mit son coude dans les côtes. « Au prochain arrêt on va vous tailler un tampon. »
Tout était simple, tout tournait rond. Il savait à peine pourquoi il bavardait de la sorte avec les hommes, mais ça lui faisait grand plaisir. Il avait écarté de lui ses spéculations et ne se faisait guère de souci quant au sort de la patrouille. La journée s’écoulerait probablement sans histoires, et le lendemain soir ils seraient prêts à prendre le chemin du retour. Dans quelques jours la patrouille serait finie, et tous ils se retrouveraient au bivouac.
La pensée de Cummings réveilla en lui un sursaut de haine, et tout d’un coup il ne désira plus la fin de la patrouille. Sa bonne humeur en pâtit momentanément. Quel que fût le succès de l’expédition, Cummings seul allait en bénéficier.
Au diable avec lui. Il n’y avait qu’ennui à la clef dès lors qu’on s’acharnait à pousser les choses à l’extrême. Le truc consistait à mettre un pied devant l’autre. « Bon les gars, en avant », dit-il paisiblement, les voyant s’attaquer à une pente. « C’est ça, d’emblée. »
Et il y avait encore d’autres problèmes. Il y avait Croft. Plus que jamais il devait être sur ses gardes, happer les choses au vol, apprendre en quelques jours ce que Croft avait acquis pendant des mois et des années. Son commandement, pour l’instant, se trouvait dans le plus précaire des
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