Les Nus et les Morts
sautèrent sur leurs jambes, lui décochèrent un regard muet, et se mirent à courir vers les rochers d’où ils avaient fait leur sortie. Au bout de quelques pas ils firent volte-face, tirèrent une rafale, couvrirent une vingtaine de mètres à la course, s’arrêtèrent de nouveau pour tirer, fuyant pêle-mêle et hoquetant comme des animaux pris de panique. Les Japonais s’étaient remis à tirailler, mais les fuyards n’y faisaient plus attention. Pris de frénésie, ils ne connaissaient qu’une seule chose – atteindre un abri derrière les rochers.
Un à un, haletant, pantelant, ils escaladèrent le dernier étagement de la roche et se laissèrent tomber à terre. Hearn arriva un des derniers. Il roula sur le sol, puis atterrit sur ses genoux. Brown, Stanley, Roth, Minetta et Polack tiraient toujours. Croft l’aida à se relever. Tous s’accroupissaient à l’abri du rempart de pierre. « Tous sont rentrés ? » souffla Hearn.
Croft jeta un regard rapide autour de lui. « On dirait qu’on est tous là. » Il cracha. « Allons-y, mon lieutenant, faut qu’on se taille d’ici, ils vont nous encercler dans un petit moment. »
« Tout le monde est là ? » cria Red. Il portait une longue éraflure sur une de ses joues incrustées de poussière, où la sueur coulait comme des larmes sur un masque sale. Les hommes rampaient à quatre pattes derrière le rempart, criant et s’interpellant avec nervosité.
« Y a-t-il foutre quelqu’un qui manque ? hurla Gallagher.
– Tout le monde est là », cria quelqu’un de retour. Tout était silence à l’autre bout du champ, sous le bouquet de verdure. Çà et là une balle isolée passait en bourdonnant au-dessus d’eux. « Allons-nous en d’ici. »
Croft jeta un coup d’œil par-dessus le rempart, fouilla le champ du regard, ne vit rien. Il piqua une tête pour se garder d’un chapelet de balles qui en eurent après lui. « Vous voulez qu’on les met, mon lieutenant ? » Hearn fut incapable de se concentrer pendant un long moment. Il était encore sous l’effet de l’exaltation qui l’avait arraché à lui-même. Il avait de la peine à croire qu’ils étaient tous de retour et dans un lieu relativement sûr. Il ne parvenait pas à se maîtriser. C’était comme s’il devait entraîner son monde sur un autre parcours de cent mètres, puis de nouveau plus loin, et gueuler des ordres, et beugler de rage. Il se frotta la tête. Il lui était impossible de rassembler ses pensées. Il écumait. « Bon, allons-y », laissa-t-il échapper. Une émotion le travaillait, plus douce que toutes celles qu’il avait jamais connues.
Ils débordèrent du rempart, se tenant au plus près des falaises du mont Anaka. Ils s’avançaient rapidement, courant presque, les hommes en queue talonnant ceux qui les devançaient. Ils eurent à passer une petite colline qui les mit à découvert le temps de quelques secondes, mais ils se trouvaient déjà à plusieurs centaines de mètres du col. Quelques balles tirées au petit bonheur essayèrent de les atteindre quand, un à un, ils eurent plongé vivement pardessus le sommet du monticule. Ils marchèrent el coururent pendant une vingtaine de minutes, toujours plus à l’est, parallèlement à la base de la montagne. Ils ne s’arrêtèrent qu’après avoir mis plus d’un mille et nombre de petits tertres entre eux et l’entrée du col. Suivant l’exemple de Croit, Hearn choisit un creux près du soin met d’un coteau qu’il flanqua de quatre hommes de garde. Les autres se laissèrent choir à terre, soufflant el peinant.
Ils étaient dans le creux depuis une dizaine de minutes, quand ils s’aperçurent que Wilson ne répondait pas à l’appel.
Quand ils tombèrent dans l’embuscade, Wilson prit abri sous un rocher qui avait roulé contre le champ couvert d’herbe kunaï. Exténué, ankylosé, il s’y tint sans bouger, content de laisser passer l’orage. Lorsque Hearn eut commandé la retraite il se leva, se prit à courir, puis s’arrêta au bout de quelques pas pour faire feu.
La balle le frappa à l’estomac avec la force d’un coup de poing dans le plexus solaire. Elle lui lit faire un tour sur lui-même, l’envoya danser, puis le jeta dans l’herbe. Il y demeura couché, un peu saisi d’abord, en proie à un accès de colère. « Quel est l’enfant de pute qui m’a cogné ? » grommela-t-il. Il se frotta le ventre, prêt à se relever et à chercher raison à
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