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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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première fois qu’il était tout à fait seul. « Foutre le camp comme ça. » Il se souvint des Japonais qui avaient parlé à quelques pas de lui, mais il ne les entendait plus. Sa peur lui revint, en écho ; une fois de plus il retint sa respiration, ne pouvant croire que les Japonais étaient partis.
    Il se demandait où étaient les hommes de sa section, et il se sentait plein d’amertume d’avoir été abandonné. « J’ai été un bien bon copain avec pas mal de ces gars et voilà qui sont partis et qui m’ont laissé. C’est une sacrée manière de traiter le monde. Si que j’étais un d’eux, j’aurais sûrement pas lâché un copain. » Il soupira et secoua la tête. L’injustice qui lui était faite paraissait lointaine, un peu abstraite.
    Il bâilla dans l’herbe, bruyamment. L’odeur, autour de lui, était déplaisante, et il détourna la tête puis se déplaça de quelques pieds en rampant. Son amertume devint brusquement cuisante. « J’en ai fait des choses pour eux, mais ils ont même pas su apprécier. La fois que je me suis décarcassé pour leur trouver cette gnole, et vieux Red qui croyait que je l’a refait. » Il soupira. « Qu’est-ce que c est que ces foutues manières de pas faire confiance à un copain ? Penser que je l’a refait. » Il secoua la tête. « Et puis quand j’ai fusillé ce petit vieux arbuste, et Croft qu’est venu et qui m’a secoué comme ça. L’est tout juste un gueulard, ce gars-là, je lui aurais cassé la tête s’il me l’avait pas faite à la surprise. Ça fait rien, c’est quand même dégueulasse d’agir comme ça rien que parce que j’ai fait un peu le con. » Ses pensées allaient leur chemin, et il trouvait une vertueuse satisfaction dans le fait d’avoir été si souvent mal compris. « J’offre un coup à boire à Goldstein, ou je voulais lui offrir, mais l’avait tellement la chiasse qu’a seulement pas accepté. Puis Gallagher qui m’appelle un sacré vantard et une pauvre ordure. L’avait pas à dire ça, j’ai été tout ce qu’y a de chic avec lui quand sa femme est morte, mais y a pas un là-dedans qu’apprécie rien du tout, ils pensent qu’à sauver la peau de leurs fesses et au diable les copains. » Il se sentait très faible. « L’avait pas à m’agoniser, Croft, parce que je suis malade, j’y peux rien si j’ai le dedans des tripes bousillé. » Il soupira dans l’herbe qui se brouillait devant ses yeux. « Décaniller comme ça, me laisser tout seul, et se foutre pas mal de ce qui m’arrive. » Il songeait au chemin couvert depuis leur débarquement, se demandant s’il pourrait le refaire en rampant. Il se traîna pendant quelques pieds puis s’immobilisa, épuisé. Il essayait de se rendre compte de la gravité de sa blessure, mais sa pensée errait sans objet dans la solitude et le néant. L’effort qu’il venait de fournir l’avait replongé dans une stupeur partielle. Il entendit quelqu’un pousser un gémissement, puis un autre encore, et il comprit avec surprise que c’était lui qui exhalait ces plaintes. « Nom de Dieu. »
    Lé soleil lui brûlait le dos, imprégnant son corps d’une chaleur bienfaisante. Il se sentait lentement aspiré par la terre ; la tiédeur du sol se répandait par tout son être et le supportait. L’herbe et les racines et la terre sentaient le soleil, et son esprit remonta en tourbillonnant vers des images de champs labourés et de chevaux qui fument, vers cet après-midi où, allongé au bord de la route, il avait suivi des veux la Négresse dont les seins rebondissaient sous le chandail de coton. Il essaya de se rappeler le nom de la fille qu’il allait voir ce soir-là, il se mit à pouffer. « Je me demande si elle sait que j’ai que seize ans. » Sa blessure répandait dans son ventre une sorte de tiède nausée assez semblable au glouglou de la passion, et il flottait entre le ciel et la terre, entre la route en bordure de laquelle se trouvait la maison où il avait vu le jour et le champ d’herbe kunaï où il était couché. De vagues images lascives se poursuivaient en rond dans sa tête. Nébuleuse et mouvante, l’herbe ressemblait à une énorme forêt, et il n’arrivait pas à déterminer s’il était ou n’était pas dans la jungle. Son sens olfactif recréait les odeurs de la brousse, il les amplifiait, il en restituait la grasse puanteur. « Nom de Dieu, ça sent tout pareil qu’une femme. »
    Le sang s’écoulait

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