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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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celui qui l’avait frappé, mais du sang lui était venu sur la main. Il secoua la tête, prêtant l’oreille à la fusillade, aux cris de l’escouade restée avec Croft de l’autre côté du rempart – éloigné d’une trentaine de mètres seulement. « Tout le monde est là ? entendit-il quelqu’un crier.
    – Oui, oui, je suis là », marmonna-t-il. Il crut avoir parlé à haute voix, mais il n’avait fait que chuchoter. Il roula sur son ventre, pris de peur tout à coup. « Nom de Dieu, c’est ces Japonais qui m’ont buté. » De nouveau il secoua la tête. En tombant dans l’herbe il avait perdu ses lunettes. De l’endroit où il était il ne voyait qu’un tout petit bout du champ, et le vide qui y régnait lui fit plaisir. « Nom de Dieu, j’ai le vertige, y à pas à chier. » Il se détendit pendant un moment, ses sens pris d’un lent remous. De vagues bruits lui arrivaient du côté de la sec-lion qui abandonnait le rempart de pierre, mais il y prêtait à peine attention. Tout était quiet et paisible, sauf la sourde pulsation dans son estomac.
    Soudain il se rendit compte que le feu avait cessé.
    *
    « Faut que je pousse dans l’herbe où les Japonais me trouveront pas. » Il essaya de se lever, mais il n’en eut pas la force. Lentement, grognant sous l’effort, il rampa de quelques mètres dans l’épais de l’herbe, se détendit de nouveau, tout content d’avoir perdu le champ de vue. Son vertige, son bien-être, suintaient par tout son corps. « Je me sens comme si j’étais plein de gnole. » Il remua la tête d’étonnement. Il se revit dans un bar, agréablement ivre, sa main autour des hanches d’une femme assise à ses côtés. Il était sur le point de l’accompagner chez elle, et un filet de passion le traversa à cette pensée. « C’est ça, mon chou », s’entendit-il prononcer tout en regardant la racine de l’herbe au niveau de son nez. « Je vas mourir », se dit-il. Une vague glaciale de peur déferla sur lui, lui arrachant un gémissement. Il imagina la balle entrant dans son corps, déchirant le dedans de sa chair, et il eut la nausée. Un peu de bile s’écoula de sa bouche. « Tout ce poison que j’ai dedans moi va faire des saloperies, c’est ça qui va me tuer. » Mais il chavirait de nouveau, repris dans un doux moment de faiblesse et de somnolence. Il n’avait plus peur de mourir. « Cette balle va me nettoyer les tripes. Tout ce pus s’en ira maintenant et je serai retapé. » Il se sentit tout allègre à cette idée. « Père disait que son grand-père avait une vieille Négresse qui le saignait chaque fois qu’il avait la fièvre. C’est juste ce que je suis en train de faire, » Il regarda le sol d’un œil voilé. La vue du sang qui imbibait le devant de sa chemise lui donna un vague malaise. Il recouvrit la tache de sa main et sourit faiblement.
    Ses yeux étaient à deux pouces du sol. Le temps planait au-dessus de lui, immobile, et il sentait la chaleur du soleil dans son dos. Peu à peu il s’anéantissait dans le pullulement rythmique des insectes autour de lui, et le pied carré de terre qu’il embrassait du regard s’amplifia au point que chaque grain lui apparaissait dans sa plénitude et sa perfection. La terre n’était plus brune ; elle représentait une mosaïque de cristaux individualisés, rouges et blancs et jaunes et noirs. Son sens des dimensions s’évanouissait. Il croyait voir des champs et des forêts du haut d’un avion, et l’herbe, méconnaissable à quelques pouces du sol, devenait nébuleuse et mouvante comme une nappe de vapeur. La racine en était étonnamment blanche, recouverte d’une épaisse écorce squameuse pointillée de marron, pareille à celle des bouleaux. Tout ce qu’il voyait avait les proportions d’une forêt, mais une forêt qu’il n’avait jamais vue auparavant, et bien étrange.
    Des fourmis s’égaraient sous son nez, se retournaient pour le reconnaître, puis passaient leur chemin. Elles avaient les dimensions d’une vache aperçue du haut d’une colline. Il les suivait du regard jusqu’à ce qu’elles fussent sorties de son champ de vision.
    « Nom de Dieu, c’est de jolies petites bestioles », pensa-t-il faiblement. Sa tête prit appui sur son avant-bras, la forêt s’obscurcit, se retourna sens dessus dessous, et il s’évanouit.
    Il revint à lui une dizaine de minutes plus tard. Il restait sans bouger, oscillant entre la veille et le sommeil.

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