Les Nus et les Morts
un tas, eh bien, un tas de femmes légères. C’est parce qu’ils n’ont pas confiance en eux-mêmes.
– Je pense que ça doit être ça. » Mais l’explication ne le satisfaisait pas. « Je ne sais pas, c’est peut-être parce qu’on est colles ici, dans le Pacifique, sans avoir rien à faire.
–. Certainement. Ecoute, tu n’as aucune raison de te faire du mauvais sang. Ta femme t’aime, n’est-ce pas ? Eh bien, c’est tout ce à quoi tu dois penser. Une femme décente qui aime un homme ne fait rien de ce qu’elle ne devrait pas faire.
– Après tout elle a un enfant, dit Stanley. Une mère ne se dévergonde pas. » Sa femme lui semblait très abstraite dans ce moment. Il la voyait sous les traits d’une « elle », d’un x. Les paroles de Goldstein l’avaient cependant soulagé. « Elle est jeune, mais tu sais elle a été une bonne et sérieuse épouse. Et ç’a été… amusant comme elle s’est chargée de ses responsabilités. » Il étouffa un petit rire, décidé à apaiser les maux qui le tourmentaient. « Tu sais, nous avons eu un tas de désagréments la nuit de notre mariage. Bien sûr nous les avons surmontés plus tard, mais les choses n’allaient pas du tout cette première nuit-là.
– Oh ! tout le monde se retrouve avec ce problème.
– Sûr. Dis, tous ces types qui n’arrêtent jamais de faire de l’esbrouffe, même un gars comme Wilson ici. »
Il baissa la voix. « Ecoute, tu ne me diras pas qu’ils n’ont pas eu les mêmes bisbilles.
– Absolument. Il est toujours difficile de s’ajuster.
Il aimait bien Goldstein. La nuit, le bruissement des
feuilles dans les arbres, le travaillaient subtilement, laissant libre cours à ses incertitudes. « Regarde, dit-il soudainement, qu’est-ce que tu penses de moi ? » Il était encore assez jeune pouc faire de cette question le clou de toute conversation intime.
« Oh ! » dit Goldstein. Il répondait toujours à ce genre de questions en disant aux gens ce qu’ils désiraient entendre. Ce faisant, il n’était pas malhonnête de propos délibéré ; même quand celui qui le questionnait n’était pas un ami, il réagissait toujours avec chaleur. « Hum, je dirai que tu es un garçon intelligent bien d’aplomb sur tes pieds. Et tu es plutôt ambitieux, ce qui est une bonne chose. Je dirai que tu réussiras probablement. » Jusqu’à cet instant, et pour cette raison précisément, il n’eut pas beaucoup de sympathie pour Stanley – cela sans se l’avouer d’ailleurs. Mais il avait le respect formel de la réussite, et une fois que Stanley eut exposé ses faiblesses, Goldstein était prêt à lui reconnaître toutes sortes de vertus. « Pour ton âge tu es même réellement mûr, ajouta-t-il.
– A vrai dire j’ai toujours essayé de faire plus qu’on ne m’en demandait. » Il toucha son long nez, gratouilla sa moustache qui avait poussé de travers au cours de ces deux dernières journées. « J’ai été le président de ma classe à l’école, dit-il d’un ton dépréciatif. Il n’y a pas de quoi crever d’orgueil, mais ça m’a appris à me comporter avec les gens,
– Ça a dû être une précieuse expérience, dit Goldstein d’un air songeur.
– Tu sais, se confiait Stanley, un tas de gars dans la section, m’en veulent parce que j’ai été promu caporal bien que je sois un nouveau. Ils croient que j’ai fait de la lèche, mais nom de Dieu il n’y a pas un mot de vérité là-dedans. Je n’ai fait qu’ouvrir l’œil et je faisais ce qu’on me disait de faire, mais si tu veux savoir c’est un boulot bien plus difficile qu’on ne s’imagine. Ces ggrs qui sont dans la section depuis longtemps ils croient que tout leur est dû, alors que tout ce qu’ils font c’est tirer au cul dans les corvées et vous fourrer les bâtons dans les roues. Ils me font chier. » Sa voix se fit rauque. « Je sais que j’ai un boulot difficile, je ne dis pas que je n’ai pas fait des boulettes, mais j’apprends et je fais de mon mieux. Je prends au sérieux ce que je fais. Est-ce qu’on peut m’en demander davantage ?
– Non, on ne peut pas t’en demander davantage, acquiesça Goldstein.
– Tu sais, Goldstein, je t’ai vu faire, tu es un gars régulier. J’ai vu comment tu travailles dans les corvées, et pas un gradé pourrait t’en demander davantage. Ne pense pas qu’on ne sait pas t’apprécier. » Il se sentait supérieur à Goldstein, d’une
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