Les Nus et les Morts
compagnie de machines agricoles, se fait ses cinquante dollars par semaine avant la fin de sa première année. Il présente Beverly à ses parents, il l’emmène voir Patty – qui est mariée.
Tu crois que je lui ai plu ? demande Beverly.
Bien sûr que tu lui as plu.
Ils se marient en été et s’installent dans une maison de six pièces. Il se fait ses soixante-quinze dollars, mais ils sont toujours un peu endettés ; la boisson et les Mort Ich Inn coûtent de vingt à vingt-cinq dollars par semaine.
Cependant, ça ne va pas trop mal. La nuit des noces ex ! un carnage, mais-il se remet rapidement et après un intervalle raisonnable leurs amours deviennent riches et variées. Ils ont un catalogue secret :
Amour sur les marches de l’escalier.
Les obscénités de Beverly quand elle est en rut.
Expériences avec des travestis.
– (Lui n’y mettra pas de nom parce qu’il l’a appris dans des endroits à ne pas mentionner devant su femme. Elle n’y mettra pas de nom parce qu’elle est censée l’ignorer.)
Et, bien entendu, tout ce qui semble être sans rapport avec l’amour. Manger l’un en face de l’autre, jusqu’ à ce que c’en devienne assommant.
S’entendre l’un l’autre répéter les mêmes histoires à des personnes différentes.
L’habitude qu’il a de se curer le nez.
L’habitude qu’elle a d’ajuster ses bas dans la rue.
Le bruit qu’il fait en crachant dans son mouchoir.
L’air maussade qu’elle a après avoir passé une soirée à ne rien faire.
Il y a aussi des plaisirs innocents : discuter des gens qu’ils rencontrent.
Rapporter les cancans à propos de leurs amis.
Danser ensemble. (Simplement parce qu’ils dansent bien, comme tout le monde d’ailleurs.)
Lui racontant à Beverly ses soucis d’affaires.
Il y a des choses neutres : rouler dans leur automobile.
Son club à elle : le bridge et le mah-jong.
Ses clubs à lui : le Rotary, l’Association des Anciens Elèves de la High School, la Chambre de Commerce.
Aller à l’église.
La radio.
Le cinéma.
Parfois, quand il a le cafard, il a la mauvaise habitude de passer une soirée avec ses amis du temps de son célibat.
Folklore du célibataire : La seule chose que j’aie contre le mariage c’est que les gens ne sont tout simplement pas assez intéressants pour les forcer à passer toute leur vie ensemble.
Brown : Tu sais pas ce que tu dis. C’est toujours là A t’attendre, propre et sûr, et pas la trouille d’attraper lu vérole. La chose à faire avec les femmes, c’est de les essayer…
Folklore (histoires sales) : Sacrebleu, les trente-six manières.
Au milieu de la nuit : Voyons, va-t’en, laisse-moi tranquille Willie, je croyais quon était d’accord de ne pas se toucher pendant quelques jours.
Qui était d’accord ?
Toi. Tu as dit que nous nous y habituions trop.
Oublie ce que j ai dit.
Ohhhh. (Exaspération et soumission.) Tu n’es qu’un vieux chien courant, c’est tout ce que tu es. Toujours envie de te la fourrer quelque part. (Amalgame, unique au mariage, de tendresse et d irritation.)
Il y a des secousses extérieures à sa vie privée. Sa sœur Patty divorce, et il entend les gens jaser ; ce sont tout au plus de vagues insinuations, mais il est préoccupé. Il lui en touche un mot, subtilement pense-t-il, mais elle s’emporte.
Qu’est-ce que tu veux dire, Willie ? Que Brad aurait pu obtenir le bénéfice du divorce, et pas moi ?
Je veux rien dire. Je te demande seulement.
Ecoute, Willie petit, ne me regarde pas de cet œil. Je suis ce que je suis, c’est tout, tu as compris ?
La secousse l’entame, s’enterre profondément en lui, et explose sporadiquement pendant de longs mois. Il a des instants où, au beau milieu de la journée, il s’arrête de rédiger son rapport, et se surprend à regarder son crayon. Tu n’es pas un si grossier personnage que ça, dit Patty, svelte et croustillante et virginale, la sœur aînée – moitié mère.
Le fouet de la mémoire. J’y comprends rien de rien. Qu’est-ce qui les change comme ça, pourquoi est-ce qu’une femme peut pas rester honnête ?
Tu seras jamais comme ça, pas, Beverly ? dit-il cette nuit-là.
Aou, mon chéri, comment peux-tu même penser ça ?
Ils se sentent très proches l’un de l’autre pendant un moment, et ses maux se tassent. Vraiment, Bev, j’arrête pas de me décarcasser pour faire face à tout ; tellement, que je voudrais pouvoir rattraper mon souffle, tu
Weitere Kostenlose Bücher