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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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Leurs jambes étaient à peu près sans nerf ; il leur arrivait de rester virtuellement sur place pendant de longues minutes, incapables de coordonner le mouvement de leurs cuisses et de leurs pieds. Dans les montées ils n’avançaient que d’un ou de deux pas à la fois, s’arrêtant, se regardant niaisement les uns les autres, haletant, s’enfonçant dans la boue. Çà et là ils reposaient le brancard, prenaient un bref repos, puis se réattelaient à la tâche.
    Le soleil réapparut, enflammant l’herbe kunaï et asséchant la terre dont l’humidité monta en "des nuages de brouillard" inertes. Les hommes pantelaient, avalaient vainement de lourdes et moites gorgées d’air, grinçaient, sanglotaient, tandis que peu à peu, irrémédiablement, leur charge les attirait vers le sol. Ils démarraient en portant le blessé au niveau de leur ceinture, mais au bout de trente ou de quarante mètres son poids les avait courbés au point que le brancard rasait le sol. L’herbe les freinait, elle s’emmêlait dans leurs jambes, emprisonnait leurs mouvements, les cinglait au visage. Ils ahanaient à force de désespoir et de rage, ne s’arrêtant qu’après avoir brûlé les dernières réserves de leur paroxysme.
    Aux environs de trois heures ils firent une nouvelle halte prolongée au pied d’un arbre isolé. Personne ne dit mot pendant une demi-heure, mais à travers leur torpeur de puissantes émotions les travaillaient. Couché sur son ventre Brown regardait ses mains cruellement ulcérées, salies de sang coagulé à la suite de nombre de vieilles plaies et de coupures qui s’étaient rouvertes. Tout à coup il sut qu’il était fini ; sans doute pouvait-il encore se relever, peut-être même se traîner pendant un autre mille d’intolérable agonie, mais il était au bout de son rouleau. Tout, en lui, se détraquait ; il n’arrêtait pas d’éructer à vide depuis qu’ils avaient fait balte, et sa vision devenait incertaine. De minute en minute une vague de défaillance le traversait, obscurcissant sa vue el couvrant son dos d’une transpiration glaciale. Des trémulations agitaient ses membres, et ses mains tremblaient trop pour qu’il pût allumer une cigarette. Il se haïssait pour son délabrement, et il haïssait Goldstein et Bidges parce qu’ils résistaient mieux que lui, et il méprisait Stanley tout en espérant que celui-ci était plus éreinté que lui-même. Son amertume se résorbait en pitié – il en voulait à Croft de ne lui avoir donné que trois hommes. Croft devait savoir que la tâche était infaisable.
    Stanley toussait pâteusement dans ses mains pressées contre son visage. En lui décochant un coup d’œil, Brown trouva un point de mire pour son ressentiment. Stanley l’avait trahi. Il l’avait fait nommer caporal, et Stanley s’était retourné contre lui. Avec un autre homme à la place de Stanley ils auraient peut-être pu procéder moins mal.
    « Qu’est-ce qu’y a, Stanley ? laissa-t-il échapper. T’es prêt à abandonner ?
    – Va te faire enculer, Brown », dit Stanley furieusement. C’est de peur de continuer avec la patrouille « lue Brown avait accepté cette corvée, et c’est de Sa faute si lui
    Stanley s’y était embarqué. Ce qu’ils avaient souffert était pire que tout ce qui pouvait arriver au restant de la section. En continuant avec la patrouille il se serait fait valoir, et Croft s’en serait peut-être aperçu. « Tu penses que t’es un régulier, hein ? dit-il à Brown. Je sais moi pourquoi t’as pris ce nom de Dieu de brancard.
    – Pourquoi ? demanda Brown avec une sourde anticipation de ce qui allait venir.
    – C’est parce que t’avais foutrement trop la chiasse de rester avec la patrouille. Un sergent qui se colle des corvées de brancard, mon Dieu. »
    Brown l’écouta presque avec satisfaction. Ceci était la pire des choses qu’il pût imaginer, c’était l’instant qu’il avait appréhendé depuis si longtemps, et voilà que ça ne lui semblait même pas terrible. « Stanley, t’es tout aussi jaune que moi, on est tous les deux dans la même barque. » Il chercha quelque chose de blessant à lui jeter au visage. « Tu te fais trop de bile à cause de ta femme, Stanley.
    – Aaah, ferme ta… » Mais le coup avait porté. Il était convaincu maintenant de la traîtrise de sa femme, et en l’espace de quelques secondes tout un cruel montage de ses infidélités s’échafauda dans son esprit. Il

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