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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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se trouva englué dans un réseau d’incertitudes et se sentit l’envie de pleurer. Il était injuste d’être à ce point abandonné de tous.
    Brown poussa ses mains contre le sol, se souleva pesamment. « Allons-y, en route. » La tête lui tournait, et ses mains avaient la spongieuse mollesse de celui qui, au réveil, n’a pas encore retrouvé son sens préhensile.
    Tous se levèrent avec une extrême lenteur, s’agenouillèrent contre le brancard, puis reprirent leur marche. Au bout d’une centaine de mètres Stanley sut qu’il n’allait pas continuer. Il en avait toujours un peu voulu à Wilson parce que Wilson avait plus de mordant que lui, mais dans cet instant il ne songeait guère au blessé. Simplement, il savait qu’il allait abandonner ; c’en était plus qu’il ne pouvait supporter – puis à quoi bon ?
    Ils reposèrent le brancard pour un bref instant, et Stanley, ayant fait quelques pas en chancelant, se laissa tomber à terre. II ferma délibérément les yeux, feignant de s’être évanoui. Les autres firent cercle autour de lui, le regardant sans aménité.
    « Crotte, y a qu’à le mettre par-dessus Wilson, dit Ridges, puis on mettra les autres par-dessus çui-là et je vous ramènerai tous. » Il pouffa avec lassitude. Stanley s’était si souvent moqué de lui, qu’il se sentait un peu vengé maintenant. Mais, aussitôt, il eut honte de lui-même. « L’orgueil devance la chute », se dit-il avec pondération. Il écoutait les râles de Stanley avec un amusement détaché ; ils lui rappelaient une mule qui, un jour d’été, s’était écroulée après labourage, et il ressentait dans ce moment le même mélange d’amusement et de pitié.
    « Que diable va-t-on faire ? » haleta Brown.
    Wilson leva tout à coup les yeux. Il paraissait tout à fait conscient. Son visage, large et charnu, semblait incroyablement émacié. « Avez qu’à me laisser, dit-il faiblement. Vieux Wilson est fini. »
    Brown et Goldstein furent tentés de lui obéir. « On peut pas te laisser, dit Brown. ^
    – – Y a qu’à vous arrêter les gars, et au diable avec tout ça.
    – Je sais pas », dit Brown.
    Goldstein secoua la tête avec brusquerie. « Nous devons le ramener sur la plage », dit-il. Il eût été incapable d’expliquer pourquoi le souvenir tout à coup lui revint de l’instant où, glissant à reculons, le canon s’était abîmé dans le lit de la rivière.
    Brown regarda Stanley. « On peut pas le laisser ici et s’en aller. »
    Ridges était écœuré. « Si qu’on commence un boulot, on le finit. On va pas moisir ici à cause d’un traînard. »
    Goldstein vit soudainement la solution. « Brown, pourquoi tu ne resterais pas avec Stanley ? » Il était très fatigué, tout près de la prostration lui-même, mais il lui était impossible d’abandonner. Brown était presque aussi malade que Stanley. C’était la seule solution, et pourtant il s’en voulait de l’avoir suggérée. « Il faut toujours que je me montre meilleur que les autres », pensa-t-il.
    « Comment saurez-vous retrouver votre chemin ? » demanda Brown. Il lui fallait être honnête maintenant, faire face à toutes les objections ; il lui fallait maintenir à tout prix un dernier lambeau de dignité au cœur même de sa défaite.
    « Je connais le chemin, grogna Ridges.
    – – Ron, eh bien, je resterai, dit Brown. Faut que quelqu’un prend soin de Stanley. » Il le secoua pendant un moment, mais Stanley continua à gémir. « Il est claqué pour la journée.
    – Tu sais quoi, dit Goldstein, quand Stanley reprendra des forces vous nous rattraperez pour nous donner un coup de main. D’accord ?
    – Bon, d’accord », dit Brown. Tous deux savaient qu’il n’en serait rien.
    – Mettons-nous eh route », dit Ridges. Lui et Goldstein empoignèrent chacun un côté du brancard, le soulevèrent péniblement et s’éloignèrent en chancelant. Vingt mètres plus loin ils le reposèrent à terre pour se débarrasser de tout leur barda, à l’exception d’un sac et d’un fusil. « Tu ramèneras ça, oui, Brown ? » demanda Goldstein. Brown fit oui de la tête.
    Ils se remirent à la tâche, avançant avec une pénible lenteur. Même débarrassée de son équipement, la civière pesait plus de deux cents livres. Il leur fallut presque une heure pour faire un demi-mille le long d’une petite crête.
    Quand ils furent hors de vue, Brown enleva ses chaussures et

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