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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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ouverture dans les fils barbelés, flanquée d’une mitrailleuse. < Amusez-vous bien, les gars, fit le mitrailleur.
    – Va te faire foutre », lui répondit Gallagher. Le poids du canon se faisait déjà sentir dans ses bras.
    La colonne, d’une cinquantaine d’hommes, s’avançait très lentement le long d’une piste au cœur de la jungle. Au bout d’une centaine de mètres il leur devint impossible de se distinguer les uns les autres. Les branches se rejoignaient au-dessus de la piste, et les hommes se faisaient l’impression de tâtonner dans un tunnel sans limites. Leurs jambes s’enfonçaient dans la boue profonde, et bientôt leurs bottes furent tapissées de gros quartiers de fange. Ils s’élançaient de l’avant, parcouraient quelques pieds, s’arrêtaient, donnaient un autre coup de collier, s’arrêtaient de nouveau. Environ tous les dix mètres le canon s’enlisait, et les trois hommes consumaient ce qui leur restait de vigueur pour le dégager de son ornière et pour le haler d’une quinzaine de pieds -– jusqu’à ce que leur élan perdit de sa force. Tirant, poussant, s’embourbant, la colonne tout entière ahanait et trébuchait pas à pas le long de la piste. Ils s’agglutinaient et se scindaient dans le noir, un attelage talonnant l’autre ou bien s’attardant si loin en arrière qu’à la fin la ligne se brisa en nombre de segments qui se tortillaient comme un ver coupé dont les tronçons continuent à s’agiter. Le pire avait échu au trio qui fermait la marche. Les hommes et les canons qui le précédaient avaient réduit la piste à l’état d’un marécage, en sorte que deux équipes devaient parfois se prêter la main pour transporter la pièce à bras d’homme au-dessus d’un endroit infranchissable.
    La piste était très étroite. De grosses racines les faisaient trébucher continuellement, et les branches et les épines leur écorchaient le visage et les mains jusqu’au sang. Ne pouvant se rendre compte, dans les ténèbres qui les enveloppaient, où et comment la piste tournait, il leur arrivait de la quitter à la suite d’une pente, pour atterrir dans quelque fondrière où les avait entraînés leur canon. Ils devaient alors se débattre dans la broussaille en se protégeant les yeux avec leurs bras, et s’épuiser dans une lutte pénible pour ramener la pièce sur le chemin.
    Malgré le danger d’une embuscade, il ne leur était pas possible de garder le silence. Les canons grinçaient et craquaient, ils produisaient des bruits de succion avec leurs pneus dans la vase, et les hommes juraient désespérément, haletaient en s’aidant de sanglots comme des lutteurs au terme d’un long combat. Voix et" commandements se répercutaient en un chœur d’ahans et de blasphèmes, pour expirer dans un bruit rauque d’hommes écrasés sous l’effort. Au bout d’une heure, pour eux, rien ne subsista de la réalité fors ces canons qu’il leur fallait tirer toujours plus avant le long de la piste. La sueur imbibait leurs uniformes et noyait leurs yeux. Ils se colletaient, ils se débattaient à l’aveuglette avec leur charge, et ils juraient tout en progressant par bonds, de quelques" pieds chaque fois, désormais inconscients de ce qu’ils faisaient.
    Quand une équipe était relevée, les trois hommes titubaient à la hauteur de leur pièce, tâchant de regagner leur souffle, ou bien ils restaient en arrière pour se donner une seconde de répit. Toutes les dix minutes la colonne s’arrêtait, pour permettre aux traînards de rattraper leur retard. Pendant ces haltes les hommes s’étalaient à même dans la boue. Ils se faisaient l’impression d’être à la tâche depuis des heures ; ils suffoquaient, et leur estomac se contractait comme s’il eût été vide. Certains commencèrent à se débarrasser de leur barda, à ôter leur casque, à les semer sur la piste. L’air était insupportablement chaud sous la voûte de la jungle, où l’ombre de la nuit n’avait nullement dissipé la chaleur du jour. Marcher là-dedans était comme tâtonner dans un placard sans issue gorgé de vêtements de velours.
    Pendant l’une des haltes l’officier qui dirigeait la colonne se mit à la recherche de Croft. « Où est le sergent Croft ? » cria-t-il. Sa question fut reprise par les hommes le long de la piste et transmise à Croft.
    « Ici », cria Croft à son tour. Ils s’avancèrent l’un à la rencontre de l’autre, trébuchant dans la

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