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Les Nus et les Morts

Titel: Les Nus et les Morts Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Norman Mailer
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visqueuse. «  Pousse encore ! » criait-il, sentant la machine s’avancer de quelques pieds. Wyman se disait qu’une tige d’acier se tendait dangereusement à l’intérieur de son corps, que dans un instant elle allait se détendre. Ils s’arrêtèrent de nouveau, puis de nouveau furent de l’avant d’un mètre. Lentement, minute après minute, ils se rapprochaient du sommet. Ils en étaient peut-être à quatre pieds, quand Wyman perdit les dernières réserves de ses forces. Il lutta pour conserver un lambeau d’énergie dans ses membres secoués de tremblements, mais il parut s’écrouler tout d’une pièce, et il resta stupidement calé derrière le canon, ne le supportant plus qu’avec le poids de son corps fléchi. La pièce se mit à glisser, et il se jeta de côté. Toglio et Goldstein restèrent agrippés chacun à son moyeu. Quand Wyman eut lâché prise, il leur sembla que quelqu’un les poussait vers le bas. Goldstein tint bon jusqu’à ce que la roue eût débloqué ses doigts un à un, puis il eut tout juste le temps de crier un avertissement à Toglio. L’instant d’après la machine s’écrasa au fond du ravin. Elle avait rebondi sur les pierres, et une de ses roues se voila complètement. Ils se mirent à la tâter dans le noir, comme des chiots qui lèchent les plaies de leur mère. Wyman sanglotait d’épuisement.
    L’accident fut cause d’une grande confusion. L’équipe de Croft venait derrière la leur. « Qu’est-ce qui vous arrête ? commença-t-il à crier. Qu’est-ce qui se passe là en bas ?
    – On a eu… un accident, cria Toglio de retour. Attends ! » Lui et Goldstein réussirent à coucher le canon sur le côté. « La roue est foutue, cria-t-il de nouveau. On peut plus le faire rouler. »
    Croft jura. « Sortez-le du passage. »
    Ils essayèrent, mais ne purent pas le faire bouger. « On a besoin d’aide », cria Goldstein. Croft jura de nouveau, puis lui et Wilson se laissèrent glisser lé long du talus. Tous ensemble ils culbutèrent la nièce à plusieurs reprises. Sans dire mot Croft s’en retourna à son canon, et Toglio avec les deux autres grimpèrent leur talus et s’en furent en trébuchant par la piste en direction du bivouac du premier bataillon. Ceux qui les y avaient précédés s’étalaient immobiles sur le sol. Toglio s’allongea dans la boue, et Wyman et Goldstein se couchèrent près de lui. Aucun d’eux n’ouvrit la bouche. Parfois un obus explosait quelque part dans la jungle ; leurs jambes alors se contractaient, et c’était là leur seul signe de vie. Il y avait un mouvement continuel autour d’eux, et les bruits de la bataille se faisaient plus proches et plus hargneux. Des voix sortaient de la nuit, quelqu’un criait : « Où est le train de ravitaillement pour la compagnie B ? » et la réponse arrivait, lointaine et amortie, sans que les hommes étalés sur le sol y fissent la moindre attention. Parfois l’un d’eux devenait conscient de l’agitation nocturne ; le temps de quelques secondes son esprit se concentrait sur le tumulte qui émanait de la jungle, puis de nouveau la stupeur le gagnait.
    Croft et Wilson et Gallagher amenèrent leur canon peu de temps après, et Croft se mit à appeler Toglio.
    « Qu’est-ce que tu veux ? Je suis ici », dit Toglio. Il n’avait pas envie de bouger.
    Croft s’approcha et s’assit près de Toglio. Son souffle était long et lent, comme celui d’un coureur après une course. « Je m’en vais voir le lieutenant… lui dire la chose du canon. Comment c’est arrivé ? »
    Toglio se souleva sur son coude. L’idée de donner des explications lui répugnait, et il était confus. « Je ne sais pas, dit-il. J’ai entendu Goldstein qui criait attention, et c’est juste alors qu’on a lâché tout. » Il détestait de présenter des excuses à Croft.
    « Goldstein cria, hein ? demanda Croft. Où il est ?
    – Je suis ici, sergent, fit la voix de Goldstein dans le noir.
    – Pourquoi t’as crié : attention ?
    – Je ne sais pas. J’ai senti tout à coup que je ne pouvais plus tenir. Quelque chose me l’a arraché des mains.
    – Qui était l’autre ? »
    Wyman se dressa. « Je suppose que c’est moi. » Sa voix était sans force.
    « C’est toi qu’as lâché ? »
    Wyman sentit une trace de peur à la pensée de l’avouer à Croft. 4 Non, dit-il. Non, je, pense pas. J’ai entendu Goldstein crier, et alors le canon s’est mis à

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